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Full text of "Poésies profanes: de Claude de Morenne, évêque de Séez, 1601-1606. Suivies de sa satire: regrets ..."

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POESIES PROFANES 

DE 

CLAUDE DE MORENNE 

ÉVÊQUE "DE SÉEZ 
1601-1606 

SUIVIES DE sa satire: regrets et tristes lamentations 

DU COMTE DE MONGOMMERY, ETC. 

Publiées et Annotées 

PAR L. DUHAMEL 

Élève de l'École Impériale des Chartes. 




CAEN 
LE GOST-CLÉRISSE, ÉDITEUR, 

RUE ÉCUYÈRE, 36. 
1864 



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POÉSIES 

DE CL. DE -MO RENNE. 



TIRÉ A 200 EXEMPLAIRES: 

4 sur papier de Chine. 
6 — chamois. 
190 — de Hollande. 



CABN. — TYP. GOUSSIAUME DE LAPORTE. 



POÉSIES PROFANES 

DE 

CLAUDE DE MORENNE 

ÉVÊQUE <DE SÉEZ 

1601-1606 

SUIVIES DE SA SATIRE : REGRETS ET TRISTES LAMENTATIONS 
DU COMTE DE MONGOMMERY, ETC. 

Publiées et Annotées * 

PAR I.. DTHAMKI. 
* Élève de l'École Impériale des Chartes. 




CAEN 

IE GOST-CLKRISSE, tfiMTFA T R. 

RUE ECUYERE, 36. 
1864 



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AVIS DE L'EDITEUR 



Le volume que nous offrons aux bibliophiles 
et aux amateurs de notre vieille poésie est tiré 
d'un manuscrit tn-4° de quatre-vingt-six 
feuillets que nous possédons. 

Après avoir parcouru ce manuscrit , d'une 
écriture fort belle, signé C. DE MORENNE, 
parisien, et portant la date de 1584 , nous 
V avons comparé avec les œuvres imprimées de 
r auteur. Jusque-là Claude de Morenne n'était 
guère connu que par ses Quatrains moraux et 
ses Cantiques spirituels, dont les exemplaires 
sont devenus fort rares , sinon introuvables 
(Voir Notice , p. 25 et 16). Les poésies qui 
suivent le mettent au rang de BcCif, de Gilles 
Durand de La Bergerie, de Remy Belleau et 
de Philippes Desportes. — Une satire de sa jeu- 



nes&e : Regrets et tristes lamentations du 
comte de Mongommery, etc., termine le vo- 
lume. Cest également une pièce devenue fort 
rare : elle se compose de seize feuillets petit 
inS et ne se trouve guère que dans quelques 
bibliothèques privilégiées. Espérons qu'on nous 
approuvera de l'avoir reproduite. 

Aux bibliophiles , aux amis de notre vieille 
littérature de nous dire si nous nous sommes 
trompés en comptant sur leurs félicitations. 

Caen, ce 10 juin 1864. 





NOTICE BIOGRAPHIQUE. 




es Poésies que nous publions ont 
un triple intérêt: elles sont, en 
grande partie, inédites; elles sont 
' amoureuses et leur auteur est un 
évoque ; elles datent d'une époque très-étu- 
diée et très-calomniée par certains écrivains. 
Pour les comprendre, les apprécier et les 
juger, il est intéressant, sinon nécessaire, 
de savoir d'où elles viennent, quel fut le 
caractère de leur auteur, quelle a été sa 
vie. * 

Claude de Privas de Morenne, évoque de 
Séez (1601-1606), deuxième 4a *e» 4e 



(Stetlflr% naquit à Paris vers 1680, d'une fa- 
mille ancienne et honorable. A peine sorti de 
l'enfance,il se sentit porté vers les études théo- 
logiques. D'une imagination vive, ardente, 
enfant de Paris, il se laissa probablement 
plutôt séduire, dans les premiers temps, par 
les discussions et les querelles qui agitaient 
la Sorbonne que guider par une vocation bien 
déterminée. Nous en avons presque la preuve. 
En 1574, alors qu'il n'était pas encore docteur, 
il composa sur la mort de Montgommery tout 
un poëme où se révèlent les qualités de la 
jeunesse et l'esprit de croisade dont on était 
animé contre les protestants. C'est à cette 
même époque, apparemment, qu'il composa 
les poésies légères que nous avons sous les 
yeux. Cependant il prit goût à des études sé- 
rieuses; il conquit brillamment ses degrés, 



* Hnloire des Évoques de Séez, par Làutour- 
Monttort. Cet ouvrage, comme quelques autres que 
nous citons, nous a été indiqué par M. Blin, pro- 
secrétaire de l'évéché de Séez. Il a usé, à notre 
égard, d'une complaisance et d'une urbanité dont 
nous le remercions cordialement ici. Avec de pareils 
hommes,lalumièreneserajamaismise sous le boisseau. 



devînt docteur en théologie avant 1577, et 
se distingua par une éloquence qui devait 
plus tard le conduire aux honneurs et à la 
fortune. C'est pendant ces années d'étude et 
de travail qu'il connut le fameux René 
Benoist , docteur régent de la faculté de 
Paris, confesseur de Marie Stuart, curé de 
Saint-Eustache , prédicateur de Henri TV.; 
soutien dévoué, ardent, infatigable de ce 
prince t Le maître et l'élève eurent tou- 
jours, comme nous le verrons plus tard, 
des relations suivies. Il est même probable 
que ce professeur qui, malgré les haines qui 
commençaient à s'élever contre lui, conser- 
vait une grande autorité , ne fut point 
étranger à la nomination de son protégé à 
Tune des cures de Paris. 

Parmi ceux qui nous parlent de Claude de 
Morenne, tous ne sont point d'accord sur la 
première position qu'il occupa. Les uns yeu- 
lent qu'il ait été d'abord curé de Saint- 
Gervais *, d'autres nient complètement ce 

* Claud. Robertus, in episcopis Sagiens. Ibidem, 
in additionilms. 



-if- 
fait ' ; d'autres prétendent qu'il a d'abord 
été curé de Saint-Merry, puis de SaintGer- 
vais * . Un autre veut qu'il ait successive- 
ment occupé ces deux postes *; d'autres 
prétendent enfin qu'il fut simplement curé 
de Saint-Merry * . Tout ce que nous pou- 
vons affirmer, c'est que s'il fut curé de Saint» 
Gervais, c'était avant de l'être à Saint-Merry. 
Pendant le siège de Paris, en effet, tandis 
que les plus véhéments prédicateurs de la 
Ligue, le jésuite Gommolet, le curé Boucher 
exerçaient leur violence, nous voyons parmi 
leurs victimes et ceux qui furent chassés de 
la capitale, Benoist, curé de Saint-Eustache, 
et son ami Claude de Morenne, curé de Saint- 
Merry •. 



* Lautour-Montfort , Hist. des Évêques de Séez. 

1 Histoire ecclésiastique de Séez, par le P. Marin 
Prouvere. 

* Dumonstier , Neusiria christiana , B. I. M M 
N- i0049-i0050. Fonds latin. 

* Gallia christiana, tom. XI, pag. 703.— Pouillé 
du diocèse de Séez. —Gilles Bry de la Clergerie, 
Catalog. des Évêques de Séez.— Moreri, Dict. hist., 
tom. VII, pag. 777. 

1 Mezeray, Hist. de France, tom. m. 






Cet exil qui, du reste, ne fat pas de longue 
durée, commença la fortune de notre curé, 
tout en inaugurant aussi les douloureuses 
épreuves qui troublèrent sa vie. De ce jour, il 
comptait dans Benoist un ami dévoué et dans 
Henri IV un puissant protecteur. S'il se 
repentit pendant quelque temps des opi- 
nions qui l'avaient fait condamner par ses 
collègues, les événements vinrent le rassu- 
rer. Lorsqu'en 1893, en effet, le roi; fatigué 
de combattre une puissance qu'il ne pouvait 
vaincre , se décida à embrasser le catholi- 
cisme , il écrivit de Mantes le 9 juin à 
Benoist *. Dans cette lettre, il le prie de se 
rendre près de lui pour discuter les dogmes 
de la religion catholique , et il ajoute : 
* Mesme que vous prepariês à cest effet aucuns 
de vostre collège que vous cognoistrés avoir la 
crainte de Dieu et estre accompagnez tf esprit 
doux et aimant le bien et le repos de mes 
subjets, i 



t Berger de Xjvrey, Recueil des lettres missives de 
Henri IV, tom. ffl, p. 7»* 



— vi- 
Côs hommes d'esprit doux et aimant le 
bien, ce forent Claude de Morenne et Ai- 
mar de Chavagaac, curé de Saint-Sulpice *. 
Mais on sait combien un pareil honneur était 
dangereux. Il ne suffisait point d'avoir été 
mandés par le roi, il fallait encore obtenir 
des ligueurs l'autorisation de.se rendre à 
Saint-Denis et ce n'était point chose com- 
mode. Benoist et ses compagnons vont trou- 
ver Mayenne et lui montrent les lettres du 
roi; Mayenne les renvoie au légat qui les 
menace de l'excommunication s'ils font ce 
voyage 2 . Benoist, bravant cette menace et 
la Ligue tout entière , part néanmoins pour 
Saint-Denis avec ses compagnons. Le roi y 
arrive le 22 juillet '. Le 23, les trois curés 
commenceqt à discuter devant lui. Dans plu- 
sieurs conférences dont la première dure 
huit heures , ils éclairassent ses derniers 
doutes ; de Morenne surtout se fait remar- 



* Mémoires journaux de Pierre de VEstoilk, Collect 
Petitot, tom. XLVI. 

* Ibidem, passim. 

* Meziray, Hisi. de France, tom. UL 



— vn — 

quer par son éloquence, sa parole facile et 
persuasive. Le roi est converti ; il abjure le 
25 juillet! La cérémonie s'accomplit en pré- 
sence de Claude de Morenne , de ses col» 
lègues * , d'une foule de prélats, d'abbés, de 
curés et de grands seigneurs du royaume i 

Pendant que ces choses se passent à Saint- 
Denis, la Ligue ne se tient point pour battue. 
Elle redouble ses attaques, elle lance ses 
traits les plus acérés contre les ecclésias- 
tiques qui l'ont bravée. Mais, eux, forts 
de leur succès, de l'appui du roi et du 
peuple de Paris, osent non-seulement ren- 
trer, mais demandent à démontrer à leurs 
ennemis qu'ils se sont simplement acquittés 
d'un devoir. On leur répond par les injures 
et les violences. Leurs vies même ne sont plus 
en sûreté. Un certain Guarinus surtout les 
accable d'accusations calomnieuses et de gros» 
sières insultes *. Nous ne pouvons entre? 
dans le détail de ces luttes si curieuses 



1 Flbury, Hist. ecclésiastique, tom. XXXVI, pag. 463 
et sequent. 
* Pierbb de l'Estoillb,. Mém. journaux. 



— vm — 

d'ailleurs, mais ce que nous tenions i cons- 
tater, c'est la part active que prit Glande 
de Morenne à la conversion d'Henri IV. 
A quels dangers, à quelles tribulations ne 
fut-il pas en butte i Avec quelle fermeté il 
persista dans ses opinions, avec quelle per- 
sévérance infatigable il poursuivit, à travers 
tant d'obstacles, une œuvre si dangereuse et 
si difficile I 

Le succès couronna les efforts de ces 
hommes courageux et ce fut justice. Sous 
quelque bannière qu'il marche, on aime à 
voir le dévouement lutter contre les obstacles, 
mais on aime surtout à le voir reconnu et 
honoré d'une légitime récompense par ceux 
qu'il sert. Si l'on en croit un document de 
l'époque S les trois curés restèrent près du roi 
après son abjuration. Ils devinrent prédica- 
teurs ordinaires de Henri IV, ce qui ne les 
empêcha pas de conserver leurs cures. C'était 
là une première récompense. Dans cette nou- 



i Dialogue du Maheusire et du Manant, f* If, recto 
de FédiL originale de I8M. 



— IX — 

▼elle position, Claude dé Morenne se dévoua 
plus que jamais au triomphe de la cause 
royale. Il prononça plusieurs discours dans 
l'un desquels * nous lisons ce passage : « Ho* 
c norez et craignez vostre roy, priez Dieu 
c pour sa santé et prospérité ! Souvenez-vous 
c à tout propos des belles paroles que dit 
« Senëque escrivant à l'empereur Néron, 
c lorsqu'il parle du bien qui vient à tout le 
c peuple de la conservation du prince, etc., 
etc.jt Dans d'autres, notre auteur engage les 
bons catholiques de Paris à soutenir le roi*. 
Il se justifie dans un autre d'avoir assisté 
à sa conversion et d'avoir quitté pour une 
pareille tâche son bien-aimé troupeau '. 

Tant de dévouement, tant de zélé pour une 
cause dont le principal soutien portait la 
couronne de France, ne devaient point res- 
ter sans une éclatante récompense. Henri IV 



* Imprimé dans les Mémoires de la Ligue, tom. VI, 
pag. 27. 

9 Père Le Long, Bibliothèq. de la France, tom. 0, 
pag. 360, 1WS. 

* Ibidem, pag. 351, 10409. 



n'était point ingrat envers ceux-là surtout 
qui travaillaient à lui concilier les sympa- 
thies de ses sujets et à fonder sur des hases 
inébranlables son autorité toujours crois- 
sante. Devenu catholique par raison d'État i 
plutôt que par persuasion, il n'en conserva ; 
pas moins une reconnaissance féconde pour j 
ceux qui l'avaient aidé « à faire le mut péril- 
leux. i Nuls n'y avaient plus contribué 
que de Biorenne et ses compagnons. C'était 
peu de les combler d'honneurs à sa cour, 
d'écouter volontiers leurs sermons, de les 
retenir quelquefois à sa table. Il rêva plus 
que cela pour eux! Proportionnant la ré- 
compense aux services rendus, il com- 
mença par Benoist qu'il nomma en 1S94 
évêque de Troyes, mais qui ne put jamais 
obtenir ses bulles et fut obligé de renopcer à 
cet évéché en 1604. 

De Morenne fut plus heureux. Il y avait 
alors sur le siège épiscopal de Séez , en Nor- 
mandie, un homme d'une grande vertu,obser- 
vateur rigoureux des canons, qui avait quitté 
son diocèse (dont il ne sortit que pendant six 
mois durant trente-sept ans) pour assister à 



l'abjuration de Henri IV et réconcilier son 
prince avec l'Église catholique. Lui aussi avait 
signé la lettre que les prélats et les docteurs 
envoyèrent au pape. à propos dn couron- 
nement * et jouissait des faveurs royales. 
C'était Louis du Moulinet, frère de la mère de 
de Morenne *. Il avait toujours porté le plus 
grand intérêt à son neveu, l'avait encouragé 
de ses conseils dans les moments de défail- 
lance et de désespoir. Ce n'avait certes pas 
été un secours inutile pour le curé de Saint- 
Merry de se trouver appuyé, loué, accom- 
pagné par un homme qui s'était concilié 
l'estime générale et était lié à notre auteur 
par les triples liens de la famille , de la 
foi religieuse et de la foi politique. Aus*i 
avait-il toujours recherché avec empresse- 
ment l'approbation du bon évéque pour 
les actes importants de sa vie. Soutenu 
donc d'un côté par son roi, de l'autre par 
l'amitié de son oncle , il ne pouvait man- 



' Fleury, Hist . ecclésiastique, tom. XXXVI, pag. 463. 
— Gall. christ., tom. XI, jp. 703. 
* Gall. christiana, tom. XI, pag# 703. 



— xn -<» 

quer, en dépit d'ennemis nombreux,<Tar- 
river à un but élevé. Il fut d'abord nommé 
prévôt de l'église de Séez * . Mais ce n'était 
là qu'un premier pas, il était visible que 
Louis du Moulinet lui réservait sa crosse. 
Étant mort, en effet, le 3 mars 1601, il re- 
commanda, par ses dernières volontés, que 
son neveu M succédât. Personne ne pensa à 
contredire le saint homme que tous pieu* 
raient; Henri IV saisit, avec bonheur, l'occa- 
sion de récompenser son dévoué et fidèle 
serviteur. Il nomma de Morenne à l'évéché 
de Séez*. Il obtint ses bulles, non sans quel- 
que difficulté, et fut sacré évéque de Séez 
le 29 juillet ' 1601, dans l'église de Saint- 
Victor, de Paris, par François d'Escoubleau, 
cardinal de Sourdis , archevêque de Bor- 
deaux, assisté des évéques de Beauvais, de 
Noyon et d'Evreux. 



» Ibidem. Marin Prouvere, Hi$t. des Êvêq. de Séez. 

* Lautour-Montfort, Hist. des Évêq. de Séez. — 
Gall. christiana, tora. XI, pag. 703. — Pouillé du dio- 
cèse de Séez, 

» GaU. Christiana, tom. XI, p. 703.— Mardi Prou- 
vbrb dit que ce fut le 15 août. 



Le 16 septembre ft 9 il Tint prendre pos- 
session de son diocèse et faire cesser la régale 
qui s'y exerçait depuis la mort de son oncle. 
Il fut reçu à Séez avec une grande pompe, 
fêté par tous, accueilli avec enthousiasme 
par ceux qui avaient vécu, pendant trente- 
sept ans, sous la douce autorité de son 
oncle, et qui auguraient bien de son élu. 
Il satisfit aux vieilles coutumes de l'instal- 
lation *, eut un mot protecteur pour tous, 
et inaugura de ce jour un règne trop court 
pour Tévêché de Séez. 

Notre intention n'est point de raconter en 
détail la vie de ce prélat. Cependant, il est 
un fait que nous ne pouvons omettre, car il 
eut sur .les dernières années de notre 
évoque une influence fatale. 

En 1604, quelques écoliers des séminaires 
duMans viennent àSéez avec dimissoirespour 
recevoir les ordres. A leur retour, on lesques- 



* Marin Prouvées dit que ce fut le 15 ; le PouUlé 
donne le 16. 

* Pour l'une de ces coutumes très-curieuses, voir 
Nabot Prouvera. 



— XIV — 

tionne, on veut savoir (pure curiosité) de 
quelle forme use i'évêque pour la collation 
des ordres. Sur le récit de ces jeunes gens, 
Chapelet, chanoine, archidiacre et grand- 
vicaire du Mans, trouve que de M orenne ne 
se conforme pas aux règles et prescriptions, 
qu'il y a, dans sa façon d'ordonner, erreur 
quapt à la matière et quant à la forme, par 
conséquent, que le sacrement conféré est nul 
et sans effet. Cette opinion se répand dans 
le séminaire, au Mans, aux alentours, à Séez, 
en Normandie, l'écho l'apporte jusqu'à 
Paris. En se répandant, elle se dénature, 
se grossit. Grande frayeur! grand trouble 
parmi les fidèles! grande rumeur parmi le 
jeune clergé! Quoi ! Tous ceux qui sont or- 
donnés ainsi ne sont pas prêtres! Tant de 
fausses messes dites ! Tant d'absolutions inu- 
tiles i Tant de gens en Enfer qu'on croyait 
en Paradis! Certes, voilà bien du mal! Au 
milieu de l'épouvante générale, le bon 
évoque se trouble. Son nom, sa réputation, 
son honneur, sa foi, sont compromis! Il 
consulte la Sorbonne, qui répond d'une 
façon ambiguë. A Paris, cependant, quel- 



— Vf — 

qnes évoques, anciens ennemis de de Mo- 
renne, entreprennent la réordination des 
prêtres du diocèse de Séez qui veulent se 
présenter. Ils les réordonnent en vertu d'un 
bref apostolique. Claude de Morenne envoie 
son parent, Charles du Moulinet, promo- 
teur de Séez, pour examiner ce bref. On lui 
répond que son évéque Ta entre les mains* 
De Morenne, troublé, confus, ne sachant 
que faire* écrit à Rome. Il reçoit une ré- 
ponse évasive. Il se décide alors à réor- 
donner tous les prêtres I 

Il commence ce pénible et laborieux tra- 
vail en juillet 1604. Pendant quinze jours, 
avec un soin et une persévérance incroyables, 
de six heures à midi, exposé aux chaleurs 
de Tété, parmi une foule considérable (tous 
les prêtres jeunes ou vieux, réguliers ou 
séculiers, y accouraient), il donna tous les 
degrés du sacrement. Il en prit un chagrin 
profond. Cette épreuve altéra beaucoup sa 
santé et abrégea ses jours ! 

Un autre débat entre les protestants et 
les catholiques, entre les réformés d'Alençon 
et un capucin qui y avait été envoyé pour 



— XVI — 

prêcher le carême de 1606, vint encore lui 
jeter au cœur une vive douleur. Ge capucin 
zélé, intolérant comme tous les fanatiques, 
avait été tellement violent, emporté envers 
les réformés, que ceux-ci se plaignirent. De 
là vint toute une affaire. On porta la cause 
au jugement de l'évéque. Celui-ci se rend à 
Alençon, exhorte tout le monde à la paix et 
tance sévèrement le maladroit et insensé 
capucin. Puis, rentrant à Séez, il se dispose 
à continuer ses ordinations. Mais, à partir de 
ce jour, $a santé alla en s'altérant de plus 
en plus; il ne se levait plus que la moitié 
du jour; ses forces le trahissaient ; son heure 
dernière approchait. Elle arriva le jeudi 
2 mars 1606 '. 11 mourut entouré de son 
clergé, de ses amis , de ses fidèles , après 
avoir gouverné, d'après les lois de l'Évangile, 
le troupeau qui lui avait été confié. 

Ses obsèques furent brillantes ; elles 
eurent lieu au milieu du concours général 



* Gall. christiana,iom.Xl i pag. 703.— Dumonstieh, 
Neustria christiana. —Gilles Bry de la Clergerie, 
CaUOog. des Évéq. de Séez. 



— xvn — 

de son clergé accouru i Séez au bruit de 
cette triste nouvelle. Il fut enterré près de 
son oncle, Louis du Moulinet, reposant lui* 
même dans la tombe d'Yves de Bellemes, 
mort en 1066. Dans le chœur de la cathé- 
drale, devant le grand-autel, on peut encore 
voir son tombeau *. Bonaventure Fouquet fit 
son panégyrique, et un certain Gérais Bazire 
composa cette épitapbe en son honneur : 

c Bien que la loi commune à la mort fait conduit 
« Prélat, qui fus un jour de ton siècle la gloire, 
« Ton nom n'est point entré sous V étemelle nuit: 
« Il doit vivre à jamais au temple de Mémoire. 
c Ta doctrine et ta vie ayant comme un flambeau 
« Les vices dissipés de ce monde où nous sommes, 
« Dieu fait qu'alors qu'on met tes os dans le tombeau 
« Ta gloire s'éternise en la bouche des hommes. 
« Tel est de tes vertus le prix en ces bas lieux, 
« Et là haut a toujours la couronne des deux >. 
< Qui claruit ingenio, moribus, ore, stylo 
< Optima pace fruatur 
c Faxit Deus.* 

Telle fut la vie de Claude de Morenne. 



1 Pouillé du diocèse de Séez . 

* Cette épitapbe est rapportée par Marin Prouvées. 



— xvm — 

Il nous reste maintenant à parler de ce 
qu'il nous a laissé. Ses œuvres imprimées 
sont nombreuses, variées; il y a des oraisons 
funèbres, des discours, des traités, des poésies, 
où se révèlent ses qualités, sa science pro- 
fonde et sa riche imagination. Elles permet- 
tent de juger cet homme à un double point 
de vue: comme orateur, comme écrivain. 

De l'orateur, nous ne pouvons dire ici que 
quelques mots. Dévoué par conviction et non 
par intérêt à son roi, de Morenne trouve 
pour défendre sa cause de la chaleur, du 
courage, de l'éloquence. A une époque de 
lutte, de combat, de guerre sociale, qui- 
conque est homme ne peut rester oisif. Ce 
n'est point une loi que la conscience abroge, 
une dette qu'on paye ; c'est une mission, un 
devoir. Certes il vaudrait peut-être mieux 
pour la gloire de beaucoup de combattants 
de cette époque, de n'avoir jamais trempé 
dans ces horribles dissensions religieuses, 
qui ont déchiré, ensanglanté, ruiné tant de 
fois le pays! Mais ceux qui, comme de Mo- 
renne, combattirent l'intolérance, la guerre 
religieuse et les passions homicides qu'elle 



— XIX — 

déchaîne méritent une place parmi les défen- 
seurs de la vérité. 

Mais nous n'avons pas seulement ici un 
ennemi de la ligue, un orateur, nous avons 
encore un écrivain, un poète. Occupons- 
nous donc du côté jeune, brillant, poétique, 
nouveau de notre auteur. N'est-ce pas là ce 
qu'il y a, pour nous, de plus séduisant dans 
son œuvre ; ce qui fait qu'on l'aime, qu'on 
se plaît avec une imagination si belle, si 
fraîche, si riche? Et puis un autre intérêt, 
l'intérêt historique, nous attire malgré nous. 
Les poésies qui suivent arrachent de Mo- 
renne à cette foule confuse de poètes obs- 
curs et inconnus qui pullulaient de son 
temps. Tous rimaient malgré Minerve; tous 
avaient leurs admirateurs! Madrigaux, son- 
nets, épithalames, quatrains, longs poèmes, 
vers élégiaques, satiriques, amoureux, vrai 
déluge de mots, vraie disette d'idées 1 Jamais 
l'antiquité ne fut plus pillée, ravagée, tour- 
mentée qu'en ce temps. Mais combien ont 
survécu de ces armées de poètes aussi meur- 
trières pour la littérature qui se réveillait 
que les années des partis 1 II y avait tant de 



— XX — 

moineaux bavards que la postérité a bien 
pu laisser chanter dans l'ombre quelque ros- 
signol ! Que nous a-t-elle conservé en effet? 
Quelques noms plus célèbres souvent par 
leurs défauts que par leurs qualités t 

Nous ne craignons pas qu'on fasse un pa- 
reil reproche à Claude de Morenne. Tout 
n'est pas parfait dans ses poésies, loin de là. 
Il subit nécessairement les entraînements de 
l'école dominante. Mais il a, par instants, de 
ces reflets d'imagination, de ces expressions 
naïves et charmantes, une verve, une vigueur 
que ne connurent jamais tant de rimailleurs 
fatigants. Pour nous, nous n'hésitons pas à 
le placer parmi cette pléiade privilégiée de 
poètes qu'on peut étudier avec fruit, dont 
les accents préludent à ceux de nos gloires 
poétiques. Il est digne de figurer, par exem- 
ple, près de ce Jean Bèrtaut , son successeur 
à l'évéché de Séez, qui soupire de si gentils 
vers amoureux. Il peut même lui disputer la 
première place. Lui aussi a composé des vers 
d'amour, a fait causer en langage humain 
Gupidon, le petit Archerot et la déesse d'Ery- 
cinel On sent dans ses vers le parfum de ta 



— XXI — 

jeunesse. C'est l'étudiant avec tonte sa fraî- 
cheur d'idée et de sentiment, ses reflets de 
l'école, ses souvenirs présents de l'antiquité! 
Monseigneur a pn relire pins tard ces vers, 
les revoir avec bonheur comme on revoit 
d'anciens amis. Mais, pins craintif et moins 
rassuré sur le jugement de ses contemporains 
que ne le sera Bertaut, ayant du reste plus 
d'ennemis , il a toujours gardé précieuse- 
ment ces petits péchés dans le coin le plus 
secret et le plus obscur de sa bibliothèque I 
Ce sont ses Juvenilia et il ne veut point les 
divulguer. Qu'eussent dit , en effet, et ses 
ennemis si nombreux et ses amis si peu ac- 
coutumés à l'entendre parler d'amourettes, 
s'il leur avait fait connaître quelque jour 
l'un de ces sonnets brûlants qu'il tourne 
pourtant si bien f Qui sait aussi, s'il n'y avait 
point là-dessous quelque souvenir du jeune 
théologien que l'homme mûr était bien aise 
de conserver pour lui seul. Une fois, après 
tout, il avait bien pu dire avec le poète : 

c Homo sutn, hwnani nikil a me aùenum puto. » 

Pourtant, il n'est vraiment guère pardon- 



— xxn — i 

nable d'avoir privé si longtemps la posté- 
rité de ces gentils péchés mignons où se 
retrouvent toute son imagination, tout son 
esprit , sa grâce et sa poésie I Pourquoi 
craindre? Ne voyait-il pas de son temps le 
chemin du Parnasse ouvert pour tous ? 
N'avait-il pas autour de lui une foule d'ecclé- 
siastiques, qui ne le valent certes pas, et qui 
étaient amoureux.... sur le papier, bien en- 
tendu. Ils avaient, eux aussi, leurs licences 
poétiques i Dès qu'on chantait Venus et 
Cupidon , on ne pouvait laisser seules ces 
divinités et il leur fallait, nécessairement 
une Philis, une Galatée, une Iris quel- 
conque. Personne ne s'en plaignait. Plus 
que tout autre, du reste, de Morenne eût 
mérité qu'on lui pardonnât ses petits écarts 
et ses petites faiblesses! Plus que tout autre, 
il lui était permis d'écouter quelquefois par- 
ler son cœur, car il était vraiment poëte. 

N'allons pas croire surtout qu'il ne chanta 
que l'amour; ce n'est point son seul titre à 
notrevénération.Lorsque,plus tard, le jeune 
élégiaque aura marché dans la vie , il sera 
encore poëte ; mais d'autres sentiments, 



— XXffl -r 

d'autres idées moins légères, plus tristes, 
l'inspireront quelquefois. Il aura parcouru 
tant de chemin, il aura vu disparaître tant 
de choses dans le voyage ; que, s'il chante 
encore, il y aura des pleurs dans sa voix. 
Jeune, il était poëte amoureux ; homme 
mûr, il sera poëte philosophe. Alors, soit 
qu'il imite les anciens, soit qu'il puise en 
lui-même ses propres inspirations; malgré 
lui, il planera sur son œuvre une vague tris- 
tesse que n'aura plus fait naître l'amour 
blessé ou trompé : 

L'ambition, Vhonneur, la convoitise 
Dedans nos cueurs ardentement éprise 

Engendre mil soucis 
Puis au réveil et au coucher de V astre 
Cause clarté toujours quelque désastre, 

Bourrelle nos esprits. 
Et puis la mort, qui lousjours nous talonne, 
Bien souvent lorsque Dieu, du bien nous donne 

Vient nostre âge finir. 
Mieus eut valu, vivant, vivre a nostre aise 
Que se paissant de chose qui déplaise 

Avant le tams mourir! etc. 

Vivant au milieu des grandeurs, des di- 
gnités, à la cour de ce roi galant qui vou- 



— XXIV — 

lait que sa couronne fût ornée de tous les 
plaisirs, on dans son évéché où il était 
maître absolu, voilà ce qu'il trouvait en lui i 
Nous pourrions multiplier les citations, 
nous étendre beaucoup plus sur les œuvres 
de ce poète. Un pareil travail serait certes 
curieux et utile, car ce n'est jamais en vain 
qu'on étudie notre vieille littérature I Mais 
à quoi bon ? Laissons à ceux qui liront de 
Morenne le soin de l'apprécier et de le juger. 
Puissent-ils sentir combien il est doux de 
retrouver, au milieu de tant de réputations 
usurpées, de louanges imméritées, les traces 
de nos vieux poètes nationaux. Quelque 
faible, quelque isolée qu'ait été leur œuvre, 
ils ont néanmoins appartenu à ces généra- 
tions glorieuses d'écrivains qui ont préparé 
les voies à leurs descendants. S'ils ont eu 
des défauts sans nombre, ils ont possédé des 
qualités dont nous recueillons chaque jour 
les fruits féconds. Dans ce xvi* siècle, si 
tourmenté, si fécond, si enthousiaste, au 
fond de cette mer tumultueuse et grosse 
d'orages qui remue des hommes et des idées, 
il y a quelques perles qui, si petites qu'elles 



— XXV — 

soient, méritent sinon l'admiration, du 

moins les regards bienveillants et le respect 

des âges! 

L. D. 
Paris, 30 mars 1864. 



BIBLIOGRAPHIE. 

Voici quelles sont les œuvres imprimées 
de Claude de Morenne que nous avons pu 
découvrir: 

1* Les Regretz et tristes lamentations du comte dé 
Mongommery, sur les troubles qu'il a esmeux au 
royaume de France, depuis la mort du roy Henry 
deuxiesme de ce nom jusque* au vingt sixiesme de juin 
qu'il a été exécuté. Avec une prédiction sur la prime 
du dict Mongommery en la ville de Ckarentan, par 
C. Duc. P. A Paris. Par Pierre Des Hayes, impri- 
meur, demeurant près la porte Saint-Marcel, i574. 
Avec privilège. B. 1. 7. 4661 A. 
Une autre édition a été faite à Rouen, chez Martin 
le Mégissier, tenant sa boutique au haut des degrés du 
Palais, 1574. Avec privilège. B.Ï.Y. 4661 A. 

2» Les Cantiques et Quatrains spirituels de M. Claude 
de Morbnne, curé de Saint-Mederic et prédicateur or- 
dinaire du roy. Avec un panégyrique faict pour le 
sacre et couronnement oV Henri IV, roy de France et 

V 



«— xxn — 

de Navarre. A Paris, chez Jamet Métayer et Pierre 
rHuillier, 1505, in-8*. 

3° Dumonstikr dans son Neustria christiana, in- 
dique encore un ouvrage : Composait de eodem ver- 
naculo sermone Catéchèses pro insiructione ad bonè 
altèque se prœparandum sacra communions Parisiis 
aano 1604, et rursus impressum anno 1614. 

4° Oraisons funèbres et tombeaux composez par 
messire Claude de Morenne evesque de Seez. Dédié 
a Honsiemr de Villeroy secrétaire d'Etat. Avecque les 
Cantiques, Quatrains et autres poèmes tant françois 
que latins du même autbeur. A Paris chez Pierre 
Bertault Au mont Saint Hilaire a l'Estoilie couronnée 
1605. B. I. X. 3804. 

Autre édition également de 1605 : chez François 
Huby rue Saint Jacques au Soufflet Vert devant le 
collège de Marmoutier. Et en sa boutique au Palais 
en la Gallerie des Prisonniers. B. I. X. 3805. 




POÉSIES 

DE CLAUDE DE MORENNE. 



LIVRE PREMIER. 



LIVRE PREMIER 



ELEGIE 




: ant plus je vay mirant et remirant ma face 
ï Dans le cristal poly Sun' imagère glace, 
l TappercoyquemonleincldejourenJQurseperd. 
1 Celat'estplusqu'amoy,Metresse,bienappert. 
Tous les jours tu me vois : ainsi peus4u connoistre 
Ma première vigueur évidemment décroître : 
Et sien regardant mon corps si fort changé, 
Tu scais que ce n'est point pour estre trop âgé. 
Hélas î Ce sont les soins, vrais bourreaus de mon âme 
Qui changent ma couleur : c'est l'amoureuse flamme 
Qui d'un teint si piteus ma face a basané. 
Au fond de ma poitrine un mal enraciné 



-4 — 

Va redoublant sa forée: un 9 âpre maladie 

Que coutumierement Von nomme jalousie : 

Ce mal prend sa vigueur de la flamme & amour, 

Ce mal en nostre cueur arreste son séjour, 

Ce mal en peu de tamps fait changer de Nature, 

Ce mal en peu de tamps la face des figure! 

Celuy qui, enflambépar Y Avril de ses ans, 
Bompoit en sautélant et le mal et le tams 
Si tàst qu'il est atteint de eeste chaude rage 
Perd toute sa raison, son sens et son courage, 
Devenant pensif, morne, et aussy estonné 
Qui si le ciel Vavoit de son foudre assommé. 

Pour avérer icy les susdittes misères 

Je ne veux point fouiller aus cendres de nos pères, 

Mon œil le montre bien, et la palis couleur 

Que sur ma face engrave une vive douleur. 

Je scay bien que le ciel dune main libéralle 

Ne m'avoil prodigué une beauté égalle 

A celle dHiacinte ou du mignard Adon * 

Qui fit rolir Vénus au feu de Cupidon 

Si riestobje pas laid, laide n f estoit ma face, 

Encor, quoy que l'on die, avoisje un peu de grâce. 

Et maintenant hélas ! foi les yeux tout cavex ', 

Le visage des fait ; comme les corps prive* 



» Pour Adonis» diminutif employé dans les poésies 
de cette époque. « 

* Creux. 



-5- 

De la douce clarté du flambeau lèto ti de; 
Sur ma fixée àistiUe une fontaine humide 
Qui toujours fournit oVeaus bien que le chien ardant 
Aille des autres fonts la source tarissant, 
En mon corps n'y a plus ny artère ny veine 
Ny boiaus, ny tendons, ny langue, ny haleine, 
Maintien ny contenance, alegresse ny port. 
Non, je ne suis plus rien que Vimage <f un mort ! 

Au lieu de m'egaier, de chanter et de rire 
Je suis dam une chambre occupé à eserire, 
A rêver sur le mal qui de soucis cuisons 
A séché la verdeur de met plus jeunes cms*. f 
Je mente, je descens, je frappe contre terre, 
Je ronge tous mes doigts, je dénonce la guerre 
Aus Muses, à Madame, et a ce Cupiden 
Qui, traistre, m'a volé le sens et la raison. 

Si queleun dawnture ou poussé oVuri affaire, 
Ou comme amy venant scavoir que je veus faire 
S'adresse à me parler en longs et beaus discours 
Je le laisse harenguer songeant à mes amours. 
Il est tout esbahy, luy, qui omit-coutume, 
ScwVombndtmhonnmrqwlesbom<wursaUvme 
Me voir repondre à tout pour un mot qu'on disait, 
En redire cinq cens et sur ce qu'on voulait : 



« Preuve que ces poésies sont de la jeunesse de 
l'auteur. 



Il s'en va tout dépit, entre ses dens groumeUé 
Et mille fais maudit ma fantasque cerveUe. 

Âmi, pardonne moy ; ce n'est point que je sois 
Un corps de marbre dur, corps de fer ou de bois. 
Amour me change ainsy : de courtois et traittabk. 
Il me rend déplaisant, farouche, inaccostable. 
Ami, pardonne moy et ne m f accuse point 
Que tu n'aye devant eu le courage époint , 
Du trait de VArcherot *, qui contre nos eueurs jette 
L'acier envenimé de sa dure sagette. 
Tu connaîtras alors qu'il faut bien excuser 
Le fieur qui malgré luy contraint est d'offenser 
Celuy qu'il aime mieux que son cueur et sa vie. 
La chose qui se fait sans qu'on en ayt envie 
Mérite, ce me semble, un pardon tout à fait 
Au moins envers l'amy qu'on pense estre parfait. 

Or vous, flère Metresse, orne tfun roch garnie, 
Puisque vous voiez bien que ma peine infinie 
Cause un tel changement, donnés moy vostre amour, 
Ou, par rigueur plus grande, aceourcissez mon jour. 
Vous n'aurez point £ honneur, ainsplutostungrandblame 
De tenir en langueur si longtamsmapoureame. 



* L'Amour, Cupidon, porteur de flèches. Notre 
auteur semble affectionner cette expression. 



— 7 — 

II 
SONNET 



Bien beau est le croissant de la Lune argentée. 
Bien beau le feu toisant de miUe etoiUeseYor, 
Et le soleil, des cieus le plus riche thresor, 
Sortant d entre les bras de Thétis la voûtée: 
Bien beau le noir raisin d'une vigne plantée, i 
Bien beau le teint pourpré de la rose, et enoer 
la fleur qui fat jadis prince grée et qui or 
Déploie par les champs sa faeille ensanglantée t; 

Bien beau est le cristal tfun doux coulant ruisseau 
Et V émail odorant de quelque pré nouveau : 
Ma dame toutefois mille fois est plus belle. 
Aussy le Ciel prodigue et Nature y ont mis 
Ce qu'il* n'avaient jamais donné à leurs amis 
Ils ont depuis mille ans réservé tout pour elle. 



* Hyacinthe, prince laeédémonien, fils d'Amyclas, 
selon la Fable. Il fat aimé d'Apollon et de Zéphire. Il 
donna la préférence au premier. Un Jour qu'à jouait 
au disque avec le dieu, Zéphire le tua. Apollon des- 
espéré le changea en une fleur qui prit son ûom. 



— 8- 



! 

ELEGIE 

I 
i 
i 

Coum en Esté le Cerf a la corne élevée i 

Cerchant la douce humeur iïune roche cavée, 
Se trouve assès souvent poursuivy et blessé 
Par le trait du chasseur qui Pavait devancé : 
Ainsi cerchant a voir ceste beauté parfette 
Qui reluit en vos yeus, je sens que la sagelte 
Du petit Archérot, me frappe droit au cueur. 
Ainsypour trop amer, hélas I quelle rigueur! 
Pour trop aimer, je meurs en la fleur de mon âge, 
Ne pouvant supporter ceste amoureuse rage 
Qui tenaille mon ame et, bourrelle, Vinduit 
A passer en tourment et le jour et la nuit. 
Le jour, je vay cherchant quelque lieu solitaire, 
Quelque désert hideus où le soleil n'éclaire; 
Là je passe le tamps; je me plains de V Amour 
Qui, traistre, vient chez moy pour faire son séjour. 
Mais quand le jour se cache et la Lune mwronde 
ïïun manteau brunissant enveloppe le monde, 
T arrose tout mon lict de pleurs qu'incessamment 
Pournist le triste soin a un chetif amant. 
Je n'ose tout conter : si grande resverie 
Pourrait estre nommée espèce de furie* 



_9_ 

Nestoit-ce pas assès de m'avoir outragé 
Sam me faire mourir? Me suis-je point vangé 
Du tort que vous faisiez a un serf si fidelle? 
Wauraitje point esté a vostre loy rebelle ? 
Qui vous a donc esmeu a vous tenir caché, 
Ne voulant ou de moi ou iï autre estre cherché? 
Hayssez vous, celuy, o cueur plus froid que glace, 
Qui meurt pour trop aimer ceste divine grâce, 
Qui séjourne en vos y eus? Qu'ay-je dit en vos yeus? 
Ce sont flambeaus pareils aux etoiUes des cieus. 

Aymez, mignarde, aymez celuy lequel vous ayme 
Plus que son cueur, ses yeus, somme plus que se+mesme. 
(Test estre bien ingrat de laisser au besoin 
Celuy qui, vous aymant, est accablé de soin. 
Ce que je veus n'est rien que chose honeste et sainte; 
Il n'y doit point avoir en cela de contrainte: 
Je n'ay rien à souhait que vostre corps présent: 
Je vivray bien content si je vay rébaisant 
Ceste bouche, cest œil, ou sont d Amour les armes. 
Pour quifay ceste nuit baigné mon lict en larmes 
V Amour est peu de chose, ou il mérite bien 
D'avoir pour cest e/fect quelque peu de moien. 



sS^r 



- io*- 

IV 
CHANSON 



Soleil, ne pense plus sous un nuage tspais 
Cacher les rais dorez de ta face luisante 
Pour étonner les cueurs d'une tourbe * ignorante 
Qui s'écrie en votant Veclipse de tes raies. 

Ma dame est un Soleil qui peut, à ton défaut, 
Eclaircir tout le monde et darder sa lumière 
Sur les prés ver dotants, sur la mer écumière: 
Elle peut faire voir tout ce gui tourne en haut. 

Tu as les cheveus tfor, elle les a aussy : 
Mais oVun or bien plus fin et dont la splendeur grande, 
SU faut que par le ciel ses raûms elle épande, 
Fera bien que ce tout ne puisse estre obscur cy. 

Tu as un œil luisant et ma dame en a deus : 
Le tien cède à la Lune et le sien à pas une: 
Tu départis un peu de tes rais à la Lune 
Et ma dame les siens aus hommes et aus Dieus, 



1 Foule, turba. 



- 11 - 

Quelquefois une éclipse obscurcira tes rais, 
Elle reluit tousjours et n'y a telle force 
Qui rien luy puisse oster : souvent tu Vy efforce, 
Mais en vain, o soleil, tu élance tes traits ! 

Je ne deniray point que tu donne vigueur 
Aus presens de Cerès quijaunist dans la prée: 
Ma dame, par les rais de ses beaus y eus recrée 
Non le blé, non la vigne, ains des hommes le cueur. 

Tu es, ce dit le peuple, un médecin parfait ; 
Mais ce n'est rien, au pris de ma docte metresse; 
Tu ne sçaurois guérir le grand mal qui me presse; 
S'elle veut une fois elV aura tantost fait. 

Tu m'objecte ton arc, tes flèches, ton carquois ; 
Ignorant, qui ne sçait que ma dame en regorge I 
Cest ml jumeau luy sert d'une fertille forge. 
Aussy elle asservit tout le monde a ses lois. 

Tu échauffe le monde, elV échauffe les x cueurs : 
Ta chaleur, par le froid souvent est surpassée 
Mais cellercy résiste à la Bize glacée; j 
Jamais il ne s'est veu de si fortes chaleurs. 

Tu envoies la peste et cent mille autres maus : 
Le chaud qui provient d'elle envoie l'ame saine r 
Le corps plus sain encor , et une vie plaine 
De douceurs, de plaisirs gratieus et nouveaus. 

Donc tant s'en faut, soleil, que nous fussions fâchez 
De te voir exilé hors de la voûte sainte 
Que nous voudrions dresser contre toi nostre plainte 
Et faire que tes rais tousjours fussent cachez. 

2 



quel plaisir, bons dieusî quel heur en l'univers 
Si, une fois, les yeus de ma metresse belle 
Sont fiches dans le ciel! Adieu tempeste et gresle, 
Neges, glaçons, frimas, compagnons des hyvers! 

Cela s 1 'évanouirai Car rien ne peut venir, 
Metresse, de tes yeus, sinon ce qui recrée. 
Selon qu'est affecté la cause qui procrée 
Veffect bon ou mauvais toujours en doit sortir. 



V 

SONNET 



Celle que fay toujours au devant de mes yeus, 
Que je n'ay toutefois en ma vie connue 
Est une viie mort, un* idée charnue, 
Un astre qui jamais n'a reluy dans les cieus: 

L 'amour, la haine aussy des hommes et des dieus, 
Un corps paré de tout, une chair toute nue 
Une jeunesse verte et toutefois chenue, 
Un fleuve aride et sec en larmes copieus, 

Une blancheur noirastre, une douceur amere, 
Une justice injuste, une vierge, une mère, 
Une laide beauté, un plaisir déplaisant. 



-, la - 

Et toutefois, ehetif, je meurs pour l'amour dtellet 

Et toutefois, ehetif, je la trouve si belle l 

qu'Amour est aveugle I qu'Amour est puissant I 



VI 

AUTRE SONNET 



L aqvais, ferrnebienïhuis,que Von n'ouvre à personne, 
Car je veus a part moy penser à la douleur 
Qui, depuis douze mois, mine et geine mon cueur, 
Sous l ombre du bel œil qui sur mon chefraûmne. 

Donque, ferme bien l'huis et pas un mot ne sonne. 
Que si tu entendais à l'huis quelque frappeur, 
Begarde par la fente, et fusse un grand seigneur, 
Laisse le moy frapper, de tel bruit ne V étonne. 

Mais si, par cas fortuit, Cariclée venoit 
Je t'averly, laquais, ouvrir il luy faudrcrit. 
Contre eUe je ne puis estre constant ny ferme. 

Aussy ce me seroit follie de vouloir 

Luy fermer ma maison, las I après luy avoir 

Ouvert mon pauvre cueur qu'a tous autres je ferme. 



- 44 - 

VII 
CHANSON 



Puisque ce Dieu, puisque ce gars volage, 
Ce fier tyran, qui esclave nos (meurs 
Sous le dur joug de cent mille rigueurs, 
Ce boute-feu, sans raison et sans âge, 
' Autre que moy en son jeu favorise, 
Adieu je dis à toute mignardise ! 

Adieu, Amour, adieu Nimphe folâtre, 
Adieu baisers, baisers doux et mignars t 
Adieu d Amour Us flambeaus et les dars, 
Adieu cheveus, adieu beau sein d'albâtre, 
Adieu bel œil, petite lampe claire ; 
Somme, adieu tout ce qui me souloit * plaire ! 

Je veus laisser le tumulte des villes, 

Le bruit jazard des hommes amassez, 

Je veus laisser les palais tapissez ; 

Je veus laisser les affaires civiles ; 

Je veus choisir le plus profond d'un antre 

Ou le raion du Soleil jamais n'entre I 



* Tout ce qui d'ordinaire me plaisait. Solebat, 



Si tu Venquiers doù me vient cette rage? 
Pourquoi je lesse ainsy tous mes ébas? 
Proche je suis, proche de mon trépas : 
Jevoy les seurs qui jà bornent mon âge. 
Il faut, chétif, que les cieus j'abandonne: 
Ainsy ma dame et le destin V ordonne. 

Donc je feray comme au bord de Méandre 
Le cigne blanc frappé droit à la mort, 
Qui, en chantant, tire quelque confort, 
Et de son sang empourpre l'herbe tendre. 
Ainsi prochain de la mort destinée 
Je veux plorer ma dernière journée. 



VIII 

SONNET 



L'astre aiant force au jour de ma naissance 
A sur mon chef tant versé de malheur, 
Que si les Dieus n'appaisent ma douleur 
La seulle mort sera mon allégeance. 

Un beau portrait, ornement de la France, 
Plein de fierté et d'amere rigueur 
Causa ce mal envenimant mon cueur 
Desque, chétif, je fus en sa présence. 



— 16 — 

Pauvre Acteon, la vie tu perdis 1 
Pour avoir veu Diane sans habits 
Dans le cristal tfuns claire fontaine : 

Mais moy, hélas! qui n'ay veu que les y eus 
De ma déesse, ha! fauUU pour ma peine 
Ainsi que toy abandonner les cieus? 



« Fïls d'Aristéeet d'Autonoé, qui, un j<mr, ayant 
jeté les yeux sur Diane au moment où elle se baignait, 
fut changé en cerf par la déesse et périt dévoré par 
ses chiens. 



— 17 — 



IX 



LE FEU D'AMOUR ' 

VQdMOUKEUS ET LE TASSANT 



LAMOUREUS. 



Ou courent tant de gens? Où porte Von cet? eaut 
Est-il point avenu quelque malheur nouveau? 
D'où vient si grande peur? Qui est la cause vraye 
Que tant de peuple icy s'épouvante et s'effraie ? 



LE PASSANT. 



Ne t'en esbais point; c'est que l'on court au feu 
Qui brûle une maison, et gaignant peu à peu 
Prend celle du voisin; on craint que eut orage 
Allant de toit en toit n'embraze le village. 



* Voir la ballade de Charles d'Orléans : 

Ardent désir de voir ma maîtresse. 
Le prince poète introduit son cœur criant au feu ! et 
appelant ses amis au secours de son infortune. 

(Poésies de Charles ^Orléans, édition Champol- 
lieu-Figeac,*85î, p.7ô.) 



- 18- 

l'amoureus. I 

Hélas! si le debvoir et si la charité 
A jamais dans vos coeurs son séjour arresté, 
Venez, peuple, venez sans aller plus grand erre. 
Car j'ay le feu chez moy, le feu, le feu qui erre, 
Brûlant et consumant le plus beau de mes biens. 
Las! si vous ne m* aidez, je pers tous mes moiens. 

LE PASSANT. 

Ta maison brûle-t-elle? ou si, par moquerie, 
Tu nous tiens tel propos? FauUl que tu te rie 
Du désastre tfautruy? Bien souvent le moqueur 
Chez soy en retournant trouve quelque malheur. 

l'amoureus. 

Pleust a Dieu que de vray ce ne fust que risée, 
Car Vespérance, au moins, ne m'eusl pas delessée 
Comme elle a fait, depuis qu'au matin le Soleil, 
A le monde esclarcy des rayons de son œil. 

LE PASSANT. 

Comment est avenu chez toy telle infortune ? 

l'amoureus. 

Un faus petit garson se trouvant de fortune 
Auprès de mon logis, avoit dedans sa main 
Un flambeau tout ardent; ce garson inhumain, 



-10- 

Je ne scay pas pourquoy, mais, sans autre mot dire, 
A mis le feu chez moy; c'est pourquoy je soupire 
Voiant que eu après, en ce monde vivant, 
Je riauray pour tout bien que le jour et le' vant! 

LE PASSANT. 

Puisque chez toy le feu si vivement domine, 
Traînant au dam des tiens ta maison en ruine, 
Que te sert de pleurer? Que te sert de gémir? 
Que n'y mets-tu la main? Tira-t-on secourir 
Pendant qu'on te verra, en si piteus alarmes, 
Comme fun petit enfant pleurer et fondre en larmes? 
Aide toy le premier; Dieu n'ayde jamais ceus 
Qui pour eus mesmes sont lâchement paresseus. 

l'amoureus. 

Qu'y sçaurois-je que faire? Ai-je pas, misérable, 
Taché ^anéantir ce mal inévitable? 

m 

LE PASSANT. 

Jettez-y moy force eau; il n'y a feu cy bas 
Qui par eau ne s'etaigne, et si je ne scay pas 
Si le feu est si grand comme tu voudrais dire. 

l'amoureus. 

fiuand l'on jettroit dessus toute la mer qui vire, 
L'on ne pourrait jamais éteindre ce feu chaut. 
Croy qu'il n'y en a point ni cy bas ni la haut 



Qui comme cettricy n vivement s'allume. 
Les forgerons <f Aetna sur l'acier à*un' enclume 
N'ont et n'auront jamais le pouvoir de forger 
Un feu qui avec soy porte plus de danger. 
Tant plus on veut Vétaindre et tant plus il s'efforce 
De montrer les efforts de sa puissante force. 
Il court de lieu en lieu animé par un vent 
Qui tantost en derrière et tantost en devant 
Promène cesle peste; ainsi de fond en comble 
Par la force du feu toute ma maison tombe. 

LB PASSANT. 

L'édifice ett-il beau? 

l'amoukeus. 

Sur deus beaus piliers rons 
Le bâtiment s'appuie; il est large, et au fons 
Mille commodités y a mis la Nature; 
L'artifice en est beau, belle en est 4a figure. 
Au plus haut du logis, on y voit d'assez loin 
Une petite tour; la dedans n'y a coin 
Qui ne serve beaucoup ; double en est la feneslre 
D'où l'on voit aisément tout ce qui pourroii estre. 
A costé, sont deux trous, tfoù l'on escoute tout. 
Si je voulais icy conter de bout en bout 
L'artifice du lieu, il faudrait mainte année ; 
Le moindre coin qui soit mérite une journée. 



- 2i - 

LE PASSANT. 

Ouest la place assise? 

i/amoureus. 

Hélas î hélas I passant, 
L'artifice si beau, dontfalloy devisant, 
Est le corps que tu vois ! C'est là cest édifice 
Où la nature a mis tant et tant d'artifice.' 
Ce corps brûle d'amour. Amour est ce garson 
Qui brûle mon logis ; Amour est le tison 
Qui, en cendre réduit ce qu'ay de cher au monde. 
Or si quelque pitié dedans ton cueur abonde 
Secoure moy, passant ; ainsy puisse a jamais 
Séjourner avec toy le repos et la paix. 

LE PASSANT. 

Jamais je ne m'ay veu lassé de telle affaire. 
Si je puis en cecy quelque plaisir te faire, 
Commande, et tu verras que je n'ay a dédain 
De mettre au mal d'autruy soigneusement la main. 



WlT 



X 
CHANSON 



Avecque toy, amoureuse cigalle, 
Je veus chanter le mal de mon amour 
Sur les pertuis d'une flutte inégalU 
Que j'en fier ay dans cest ombreus séjour. 

Ce n'est ans sours que j'adresse mon carme ; 
Les rochs, les bois repondent à mes chants, 
Orphe jadis ne voulut autre chahne 
Que sa chanson, pour émouvoir les chams. 

Doriques, forest, de verdure hérissée 
Oyez les plains d'un petit animal, 
Qui, sucçotant du matin la rosée, 
Chante avec moy la grandeur de son mal. 

Et l'un et l'autre a senty la sagette 
Que ce tyran d'une certaine main 
Ainsi qu'au but, a nos poitrines jette, 
Pour contenter son courage inhumain. 

Hélas, beauté, des beautés la plus belle, 
Quand te prendra l'envie d'appaiser 
L'aigre soucy dont ta fierté rebelle 
Vient en mon cueur ses flammes atlizer ? 



- 23- 

Comme aus beaus jours de la saison nouoeUe, 
Dedans Us bois on voit un colombeau 
D'un tendre bec baiser sa colombelle, 
Charmant le mal de son martir nouveau ; 

Ainsy poussé de l ardeur qui me touche, 
fyrois baisant tes yeux et ton sourcy, 
Ou te coural de ta mignarde bouche, 
Ou bien ces mains qui filent mon soucy. 

Vien donc mm cueur, vien donc ma douce vie, 
Sous V ombre épais de ces jeunes ormeaus : 
Vien mon amour, et s'il te prent envie, 
D'un doux baiser, allège un peu mes mous. 



XI 

SONNET 

De vos cheveus le crespe refrizè 
Que cinq beaus doigts retroussent de maint tour ; 
Votre œil jumeau qui pourroit faire un jour, 
Vostre maintien gentiment compassé ; 

Vostre sourcy en voûte rabaissé, 
Votre beau sein, des Grâces le séjour ; 
Vos, lèvres S or où se niche l'amour, 
Vostre regard doucement élancé : 



— 24 — 

Bref, les beautés, dont le Ciel et Nature 

Ont enrichy vostre belle figure, 

Pourraient surprendre un Scythe a leur amorce. 

Aussy, mon cueur les ayant avisé, 
Incontinent, (f Amour fust embrazé. 
Il fist de gré ce qu'il eust fait de force. 



XII 

A CASSANDRE 



Auaoïs-JE bien l'honneur, ma gentille Cassandre, 
De vanter en mes vers vostre jeunesse tendre t 
Pourroisje bien conter tant et tant de beautés 
Que mon œil voit refaire en vous de tous costést 
Je meure î Le sujet et la matière semble 
Mériter un Homère ou celuy dont V exemple 
A conduit nos François au temple des neufseurs. 
Que de perfections ! Que de douces douceurs ! 
Par où commencerais-je? En quelle sorte, Dame, 
VoulexMus que mon vers pour vous louer j'entame? 
L'abondance me fault en ce cas indigent. 
J'ay moins de quoy chanter tant plus j'y vai songeant. 
Je croy que c'est Amour épris de quelque Envie? 
Qui me ferme la bouche, et ne veut qu'en ma vie 



— «5- 

Je puisse avoir l'honneur de jeter mon projet 
A vanter en mes vers un si digne subjet. 

Tu as beau faire. Amour, je ne perdray courage. 
Je poursuivray mon train, et, serf en mon jeune âge, 
Je vouray à Cassandre et ma plume et mon vers. 
Geste plumé, Cassandre, est Sun estoc divers 
A celle des oiseaus ; à vous je la présente, 
Prenez la, tenez la ; faites qu'elle se sente 
De la sainte douceur que vous donnent les dieu*. 
Geste sainte douceur, ceste manne des cieus, 
D'encre luy servira ; si ce bien vous me faittes, 
Croiez que j'escriray mille chansons parfaittes, 
Et quej'auray assés de cueur pour bien chanter 
Ce qui vous fait ainsi les autres surmonter. 



XIII 



•nu'on me bride la langue et que je n'ose dire 
V^ Au plus fort de mon mal la cause du martire ! 
Non^non, je le diray, je n'aurai point de honte ! 
Petit n'est pas celuy qui ma raison surmonte ! 

C'est Amour, ce grand dieu dont la Majesté sainte, 
Jette aus tueurs des humains une effroyable crainte. 



— 26— 

Celuy qui a vaincu le Dieu darde-tonnerre 
Celuy qui est puissant sur les eaus, sur la terre, 
Sur le peuple emplumé, sur V oiseau qui, volage, 
Baisse le col au joug de V amour eus servage. 
Cest luy qui m'a vaincu, c'est le dieu que f adore 
Quand, au plus frais du jour, la matineuse Aurore 
Attelle ses chevaus : ou quand l'oeil de ce monde 
Se va laver, au soir, dans les replis de l'onde. 

Cest luy a qui je dorme et mon cueur et mon âme; 
En somme ; Tout, hors mis la faveur de ma dame. 



XIV 

SONNET 



HéLkHB, je serais réputé plein d'envie, 
Si je ne confessais que vos cheveus sont beaus, 
Beaus vos yeux cHstalins, deus vrais soleils jumeaus, 
Beau ce front qui remet plusieurs humains en vie. 

J'accorde tout cela ; mais Amour me convie 
A dire obstinément que tant de biens nouveaus 
Qui vous ornent, Hélène; en rien ne sont égaus 
Aus beauté» que Nature a donné à m' amie. 



- J7 - 

Comme la Lune passe, m parfaite beauté, 
Les astres qui ans cieus épandent leur clarté, 
Mais au pris du Soleil c'est peu de chose qu'elle : 

Ainsy vous surpassez, en vos perfections, 

Les dames qui nos cueurs comblent de passions, 

Mais au pris de Diane, ha ! vous n'estes pas belle ! 



XV 
EGLOGUE 

DAPHNIS 



L'aube mère du jour, avait jà débarré 
Les portes du Chasteau de ï Olympe azuré ; 
Et, laissant de Titon la couche malaisée, 
L'Indie remplissoit dune tendre rosée : 
Quand, avec ses trouppeaus, Dapknis vint auxchampsvers; 
Daphnis, le cher mignon d'Apollon aime-vers, 
Ce Daphnis, ce berger dont Vame est tourmentée ; 
Pourchassant, mais eh vain, la belle Galatée. 
Tout le soûlas qu'il a est de chercher un bois 
Solitaire et désert ; là, dune douce vois, 
Conter le grief tourment qui le mine et l'affoUe : 
Mais les vents aussy tost emportent sa parolle. 



— » — 

Nais-je pas veu sauvent ee pauvre paieureau, 
Aiant a l'œil pendu de larmes un ruisseau, 
Arraisonner ainsi cette flère Lionne : 
« Metresse, levé l'œil ; voy le mal qui bouillonné 
Plus fort, dedans mon cueur, que V orage mutin 
Qui a grands flots descend de quelque rock hautain! 
Aye pitié de may, plus ne sois rigoureuse : 
Eprouve un peu que c'est de la flamme amoureuse. 
Pren mes prez, mes agneaus, mes jardins et mes chams 
Où tant et tant de fruits je cueille tous les ans ; 
Gouverne ma maison, sois de mes biens metresse 
Et charme le soucy qui emble ma jeunesse. » 

Daphnis en telle sorte à sa dame parloil, 
Et, de ses tristes yeux, un fleuve ruisselait ; 
Elle, plus que devant, cruelle et rigoureuse, 
Méprisait les accens de sa plainte amoureuse. 

Ha cueur, non pas de chair, mais de pierre au de fer, 

Pourquoi haïs tu plus ton amy que l'enfer? 

Ecoute au mains un peu, écoute, Galatée, 

Ses soupirs langaufeus : son ame tourmentée 

Ne dit, ne songe rien sinon vostre bel œil, 

Vostre firont albatrin, et le bouton vermeil 

Dont votre sainte bouche est si bien colorée ! 

Pourquoy vous esteswous contre luy colerée? 

Jamais il ne se faut fier à la beauté: 

Cest un bien qui si tost du tamps est emporté I 

Le tamps consomme tout ; le temps enfin est moisir e 

De tout ce qu'on peut voir en ce bas monde naistre. 



Comme la belle fiêur atteinte des ratons 
D'un soleil eteal, voit ses beaus vermeillons 
Perdre toute couleur et choir dessus la place: 
Ainsy eeste beauté, qui parait en ta face, 
Un jour se fanira, etja cassée d'ans 
Tu te repentiras de ce qu'en ton printams 
Tu n'auras recueilly en mainte et mainte sorte, 
Le fruit qu'une beauté douce et bénigne apporte. 

Déroche donc ton cœur, fais place a la pitié, 
Lwiey a Dapknis d'une etroUte amitié, 
Ecoute tes soupirs qui sortent de sa bouche 
Pour le trait venimeus qui jusqu'au cueur iuy topche. 

Ainsy que foi conté, Daphnis, au point eu jour, 
Que le Soleil sortait de V humide séjour, 
Ecarté d'un soucy qui au cueur et au faye 
Luy rengrege le mai de sa première playe, 
Conduisait aux patis, près de ces prez herbus, 
Ses trouppeaus porte-laine et ses chevreaus barbus. 
Ce jour, il faisoit chaud et la Chienne ètoillée 
Fendait jusques au fond la terre mi-brûlée. 
Daphnis, sentant en soy une forte chaleur, 
Qui sans cesse au dedans luy eschau/fe le cueur, 
Craignant que l'autre chaud n'engregea sa blessure, 
S'alla retirer seul sous l'ombreuse froidure 
D'un chesne grand et vieus dont le fueiUage espais 
Rendait le lieu voisin humide, beau et frais. 
Là que fut le berger, il enfla sa Musette 
De Vhaksms et eu vent que son estomac jette. 



- 30- 

Vous eussiez veu venir, pour ses chants écouter, 
Les Driades qu'on dict dans un chesne habiter, 
Les Satyres cornus, les Nimphes des montaignes, 
Des forests porte-glans et des vertes campagnes. 
Seine aus plis serpentins y arresta son cours 
Prenant un grand plaisir à ce nouveau discours. 
Aussy fit le dieu Pan, qui, des bois dArcadie, 
Vint voir le patoureau enfler sa chalemie. 
Lui, levant tout soudain la face vers les cieus 
En ce point raconta son amour ennuieus: 
c Dieu, qui Sun crespe (for enveloppes la masse, 
Quand des heures le chœur des etoUles ramasse; 
Vis4u jamais au monde un si piteus amour? 
A pleurer et gémir je passe tout le jour, 
Ne pouvant rien trouver qui puisse en moy éteindre 
Geste flamme d Amour qui me fait ainsy plaindre. 
Chante, chante, hardiment, mon petit chalumeau, 
De ton maistre amoureus le martyre nouveau. 

Les fittettes du Ciel, quand le jardin verdoie, 
Ne sauraient, a leur gré, trop se charger de proie; 
Les chèvres n'ont jamais tout leur saoul de verdeur, 
De trèfle, les brebis; les prairies d'humeur; 
Et moins se peut saouler ce petit gars volage 
De pleurs et de soupirs dont il repait sa rage. 
Chante, chante, hardiment, mon petit chalumeau, 
De ton maistre amoureus le martyre nouveau. 

Ha fiere Galatée! ha donc tu ne tiens conte 
Du pauvre prisonnier que ta beauté surmonte, 



-Si - 

Qui t'adore, te prise, et ne veut autre bien, 
Hélas! sinon avoir quelque jour le moien 
De baiser a plaisir ce gorgerin dyvoire; 
Cest œil qui dessus luy remporta la victoire. 
Chante, chante hardiment, mon petit chalumeau, 
De ton maistre amoureus le martyre nouveau. 

Où fuis-tu, Galatée? Apollon guide-danse 
Cherche le frais des bois; Pan et Sylvain y danse. 
Adofiis, le mignon, Narcis trop remiré, 
Et le Troien Paris y ont bien demeuré. 
Tant de Nymphes y sont et Diane y séjourne, 
Arreste donc les pas et vers moy te retourne. 
Chante, chante hardiment, mon petit chalumeau, 
De ton maistre amoureus le martyre nouveau. 

Quand tes deus yeus divins d'un 1 œillade riante 
Rassérènent le Ciel, la plaine verdoiante 
S'emaille en cent couleurs: les roses et les lis 
7 sont par le berger à tout heure cueillis, 
Non moins que quand Venus lessant le parc oVEryce 
Fait qu'icy toute chose, à son retour, fleurisse. 
Chante, chante hardiment, mon petit chalumeau, 
De ton maistre amoureus le martyre nouveau. 

Cest toy seulle, c'est toy, non pas la belle Flore, 
Qui fait tant de boutons parmy les chams eclorre: 
C'est toy qui fait meurir la moisson jaune-d'or, 
Qui fais courir les eaus: et qui nous fais encor 
Aus mois riches et dous du porte-vin Autonne 
Le pire Liéan eçumer dans la tonne: 



Chante, chante hardiment, mon petit chalumeau, 
De ton maistre amoureus te martyre nouveau. 

Quand tu V absente un peu, tout cela diminue: 
Au lieu de rose, croist V épine point 1 ague, 
Le vent ravage tout, le blé ne peut meurir, 
Et voit-on mainte plante incontinent mourir: 
Là vigne qui soûlait porter en ta présence, 
Languist dès qu'elle sent, Galaté, ton absence. 
Chante, chante hardiment, mon petit chalumeau, 
De ton maistre amoureus le martyre nouveau. 

Approche donc, ma Nimphe, et, sur ces gazons tf herbe, 
Appren a mépriser une maison superbe, 
Luisante de fin or, luisante, mais aussy 
Qui apporte a son maistre un monde de soucy. 
Petit est nostre tect; mais, au moins, nostre vie 
Est libre de soucy, de rapine et d'envie. 
Chante, chante hardiment, mon petit chalumeau, 
De ton maistre amoureus le martyre nouveau. 

Vien, ma mignonne, vien et jouissons ensemble 
Des plaisirs et des jeus que la concorde assemble. 
Tout le jour nous serons a Vombre des ormeaus 
Faisant près de Meudon repaistre nos agneaus. 
De mille dous baisers, comme les tourterelles, 
Nous irons contentant nos amitiez nouvelles; 
Chante, chante hardiment, mon petit chalumeau 
De ton maistre amoureus le martyre nouveau. 

Helasl Nimphe où fuis-tu? Je meurs si tu t'absente: 
Rien ne me peut aider que ta beauté présente; 



-35- 

Ton œil donne vigueur aus forces de mon corps, 
Semblable a la clarté qui, belle, sort dehors 
Les abismes marins, et de ses feus recrée 
Ce que parmy les champs la Nature procrée. 
Chante, chante hardiment, mon petit chalumeau, 
De ton maistre amoureus le martyre nouveau. 

Je sens en moy desjà une froide gelée 
Qui s'est parmy mes os secrettemeni coulée, 
La force me défaut, et mon cueur soupirant 
Vaincu du mal d'amour, hélas! s'en va mourant! 
Le soudain tremblement qui tout mon corps étonne 
Témoigne qu'en parlant la vie m'abandonne. 
Chante, chante hardiment, mon petit chalumeau, 
De ton maistre amoureus le martyre nouveau. 

Au moins je prens les dieuspour tesmoinsdema cause! 
Ils vangeront la fby, méchante, que tu fausse! 
Tu peus les hommes fuir et non la main des dieus! 
Mais las ! Il faut lesser la lumière des cieus ! 
Ma saison est venue, ha ! mon ame s'envole 
Pour plus ne retourner, avecque la parolle! » 

Daphnis chantait ainsi le mal de son amour, 
Et, proche de la mort, n'eust jamais veu le jour, 
Si quelque bon démon, la nouvelle entendue 
Ne luy eust son esprit et sa force rendue. 



— 34 - 

XVI 
SONNET 



Bien que tu sois d'une beauté exquise, 
Bien que ton œil soit clair comme le jour, 
Bien qu'en ton poil, caché se soit Amour, 
Bien que ta bouche en fin cour al rougisse : 

Pour tout cela failleit-il que lu fisse 
A ton amant, un si dedaigneus tour ! 
Souffrir deus mois que je fisse la Court 
Sans que jamais plus douce je te visse? 

Serois'ce bien que noire fay la 'peau? 
Que je ne suis comme un Narcisse beau ? 
Si c'est cela tu n'en es pas plus sage ; 

Car si je suis plus noiraslre que toy, 

Je recompense en fermeté de foy. 

Miens vaut la foy qu'un beau trait de visage. 



&& 



— 38 — 

XVII 
AUTRE SONNET 



a, petit œil, séjour de mignardise, 
Petit, mais grand en force et en pouvoir, 
Quand j'ay cest heur a loisir de te voir 
Ha, petit œil, je meurs de convoitise. 



H 



Non, je voudrois, belle rogne oVEryce 
Que près de moy tousjours je puisse avoir 
Ce petit œil, et un jour te devoir 
Faire graver dans une pierre exquise. 

Bêlas Venus t Faire tu le peus bien. 
Aide moy donc : je n'espargneray rien 
Qui puisse orner le trait de ton visage. 

Ha, le voky ! Voyci U petit œil ! 

Quel doux souris ! Quel gracieus accueil l 

Cela mérite un temple au lieu d'image ! 



-36- 

XVIII 
CHANSON 



Vien-ça, Podarque, apporte moy ma plume\ 
Apporte l'encre, apporte le papier, 
Je sens en moy un feu gui se rallume, 
C'est la chaleur de Vamoureus brasier! 

Apporte donc : car, escrivant, j'enchante 
Le dur soucy qui bourrelle mon cueur. 
Par autre bien ceste douleur méchante 
Nappaise en moy sa cruelle rigueur. 

Mais las ! d'où vient, doit vient que ma main tremble 
Qu'elle ne peut former deux ou trois mots? 
Las! Elle tombe et V encre, ce me semble, 
Ne veut marquer un seul trait de mes maus. 

Repren, Podarque, encre, papier et plume, 
Je sen mon cueur soudainement saisy 
If une chaleur qui tout mon corps allume : 
Je ne sçauroy escrire estant ainsy. 

Ha que j'ay peur que ceste plume mienne, 
Trompée au jus de quelque fort venin, 
Ne soit semblable, Orateur, a la tienne 
Que tu rongeois, cercfwnt ainsy ta fin. 



- 37 — 

XIX 
SONNET 



Le verdy les yeux recrée, aussy fait la blancheur, 
Et la couleur qui teint les roses pourperées, 
Le jaune aussy des fleurs qui nous semblent dorées : 
Mais tout est surpassé par la brune couleur. 

Tesmoin la Lune en soit, qui repute a grand* heur 
D'un beau teint brunissant ses joues colorées : 
Du Rocher Parnassin les déesses sacrées 
Pensent tout autre teint n'estre rien que laideur. 

Diane en est de mesme, et aussy est la terre, 
Et mille belles fleurs que le printams desserre, 
Belles s'il y en a, toutefois d'un teint brun. ' 

Et quand ce ne serait que brune est ma Nimphette, 
Je voudrais soutenir, contre Vavti commun, 
Que le brun des couleurs servit la plus par faille. 



b$ 



- 38 - 

XX 
ODE 



Vous me reproche* toujours 
Quefescry de mes amours, 
Et que, sur ma douce lire. 
Je n'ay autre chose a dire. 
Je le confesse, mon cueur, 
Cupidon, qui est vainqueur, 
De ce faire me commande. 
Car, de moy, je ne demande 
Qu'à prendre un autre subjeU 
Mais quoy ! Ce premier objet 
Si fort contraint ma pensée, 
Qu'elle se trouve forcée 
De prendre tousjours ce ton. 

Naguiere, changeant de son, 
Je voulais en vers décrire 
D'Achil la fureur et Vire 
Contre Us Troiens fuiars, 
Sa lance forte et ses dors 
Que tant craignoit V adultère ; 
Je fus contraint de me taire. 
Car tousjours me souvenoit 
De celle qui detenoit, 



— 39 - 

Dedans sa prison, mon ame: 
Je ne chantoy que de flamme, 
Que d'yens, de cheveus ovins, 
De ces beaus doigts yvoirins, 
Et de ce beau front d'albâtre 
Que, forcené, j'idolâtre. 

Voiant cela je laissay 
Ce que j'avois commencé; 
Je sors du logis, et, morne, 
Seulet, je passe la borne 
Des murailles Sun chasteau. 
Assis sur le bord de Veau, 
Je pense avec astrolabes, * 
Ainsi que les vieus Arabes, 
Comprendre le tour des cieus. 
Mais cest amour furieus 
Me rameine en la pensée 
La chanson qu'avoy laissée; 
Je commence à y resver, 
A la dire, a l'engraver 
Au profond de ma mémoire. 
Si que, jusqu'à la nuit noire 
Je fus a songer d Amour; 
Et le lendemain, le jour 
N'enflammait le Ciel encore 
Des rais de la belle Aurore 



i instrument de mathématiques. 



- 40- 

Que ma plume je repris, 
Ma chanson et mes espris. 
J'y fus toute la journée. 
Bref y je croy qu'en une année, 
Je ne pourroy faire un vers 
Sur un argument divers. 

Car librement je confesse 
Que vos yeus, belle déesse, 
Peuvent sur moy tant et tant 
Que mon cueur n'est pas contant 
Si tousjours leur beauté belle 
Ne me ronge la cervelle. 



XXI 
SONNET 



Ton œil fut le premier qui causa mon malheur, 
Le premier qui surprit le fort de ma pauvre âme, 
Le premier qui luy fit sentir de quelle flamme 

La beauté peut gêner â?un amour eus le cueur. 

i 
Je me donnay a toy pensant que la douceur \ 

Logeait dedans l'esprit oVuàe si belle dame: 

Mais ore je connoy le dédain qui Venflamme, 

Ne pronostiquer rien qu'une fière rigueur. 



- 41 - 

Fuyez loin de cest œil h vous ausires qui encore 
Ne sentez le vautour qui mes boiaus dévore, 
Fuyez loin, et jamais ne vous fiez m h*j. 

Je le pensoy loyal, j'ay connu le contraire ; 
Soyez mieus avisez que moy en telle affaire: 
Heureus cil qui se fait sage aus dépens dautruy. 



XXII 

CHANSON 



Je ne scauroy louer vostre beauté, 
Belle Loris, comm'elle a mérité. 
Je diroy bien que vous estes semblable 
A Venus ou a la seur d'Apollon; 
Mais quoy, Doris } vostre beauté louable 
Mérite bien autre comparaison! 

Je ne pourroy louer vostre beauté, 
Belle Doris, comm'elle a mérité. 

ïïun or tout pur vostre tresse flamboie, 
Parmy cest or y sont entrelassez 
Mille cordons, mille filets de soie 
Où sont nos cueurs étroitement lacez,. 



-42- 

Je ne scauroy louer vostre beauté, 
Belle Doris, comm' elle a mérité. 

Car par quel bout commencerais-je a dire 
Les dous regars de, ces yeus tant aime* t 
La est caché ce petit Dieu qui tire 
Contre nos cueurs, ses traits envenimez. 

Je ne scauroy louer vostre beauté, 
Belle Doris, comm* elle a mérité. 

Je suis contraint de sonner la retraite 
Quand je contemple un front sans ride et ply, 
Le cher séjour de la Grâce parfaite, 
Large et plus blanc qu'albâtre bien poly 

Je ne scauroy louer vostre beauté, 
Bette Doris, comm* elle a mérité. 

Tay un remors qui jusqu'au cueur me touche, 
Quand je désire en mes vers aimer 
Le beau coral de vostre tendre bouche 
Qui peut d Amour les Scythes enflammer. 

Je ne scauroy huer vostre beauté, 
Belle Doris, comm 1 elle a mérité. 

De toutes parts, sur vostre belle face, 
Y sont semez les lis et les (Billets. 
On y voit painte une pudique Grâce 
Qui embellit ces courausjumelets. 

Je ne scauroy louer vostre beauté, 
Belle Doris, comm* elle a mérité. 



— 43 — 

Plutost nombrer pourrois-je icy les ondes, 
Les fleurs des chams, les poissons de la mer, 
Que les beautés a mille autres secondes, 
Qui font Doris de tout le monde aimer. 



XXIII 

SONNET 



Dans une chaise assise estoit ma dame, 
Tournant sa face en arrière de moy, 
Quand le Soleil, pour croître mon émoy, 
Sur ses beaus y eus fit rayonner sa flamme. 

De jalousie, incensé, je me pâme 
Voiant ce Dieu contempler a par soy 
La dame qui, sans conn&itre pourquoy, 
Dedaignoit tant les soupirs de mon âme. 

Comme festoy depil de ce refus 
Soudain ma dame, o dieu qu'aise je fus ! 
Fuyant le chaud, se tourna vers ma face ! 

Lors feu loisir de contempler ses yeus 
Et les nous (for de ses crespés cheveus. 
Mon torrival me causa ceste grâce. 



— 44 — 

XXIV 
AUTRE SONNET 



En telle sorte, o gentille metresse, 
Vos yeus de feu, vostre gorge de lait, 
Vostre beau front, vostre crin blondelet, 
Vosire maintien digne dune déesse, 

En telle sorte, o ma chaste Lucrèce 
Vostre souris, vostre sein jumelet, 
Vostre regard fièrement doucelèt, 
Et vostre main de mon cueur pilleresse; 

Dedans mon cueur allume le brandon 
Que, jour et nuit, entretient Cupidon, 
Cruel bourreau de celuy qui V adore ; 

Que, sans les pleurs qui coulent de mes yeus 
En Ions ruisseaus, je ne seroy rien, ore 
Qu'un corps changé en mille petits feus. 



t 



- 48 - 

XXV 
ADIEU 

C'est a ce coup, douleur insupportable, 
Que de mes y eus s' écarte mon amour. 
Las ! vous perdant je pers aussy le jour : 
Sans vous, mon cueur, rien ne m'est agréable. 

Or adieu donc, adieu, ma petite ame, 
Adieu mon bien, adieu mon petit cueur, 
Adieu mon œil, ma joie, ma douceur, 
Adieu mon Tout, mon espoir et ma flamme. 
Je ne veus rien doresnavant escrire, 
Ne rien penser, sinon un seul Adieu! 
Un seul Adieu en ma poitrine ait lieu! 
Un seul Adieu ma langue puisse dire! 



XXVI 
ELEGIE 

Je brûle Dieus ! Je sen de toutes parts 
Un chaud brasier en ma poitrine espars ! 
Au feu ! au feu ! hélas ! hélas ! je brûle 
Comme jadis sur Œia fist Hercule ! 
D'où vient ce feu? D'au vient ce chaud tison? 
D'où vient ce mal? Où donc est ma raison? 



- 46- 

Où sont mes sens, et ceste gentille âme 
Qui méprisait toute sorte de flamme ? 

Ha, saint Amour, a mon dam je connois 
Qu'on ne scauroit s'exenler de tes Uns: 
Que toute chose icy bas est doutée 
Par les efforts de ta main redoutée ! 

Quand le cotton mollement jaunissant, 
En mon Apvril allait apparaissant 
Sur le menton de ma joieuse face, 
Plein de mépris et d'arrogante audace, 
Je me mocquoy des soupirs langoureus 
Et des tourments de ces pauvre' amour eus. 
Libre falloy parmi les belles filles, 
Sans éprouver que leurs faces gentilles 
Eussent pouvoir de corrompre mes sens. 
Je m'asseuroy que les traits si puissans 
De VArcherot qui Vénus a pour mère, 
N'ébranleraient ma liberté première. 
Je n'aymoy rien que la belle Pallas ; 
De la servir je n'estoy jamais las, 
Lisant tousjours ou mettant en mémoire 
De nos ayeus quelque notable histoire. . 

Le plus souvent, des Muses écarté, 
Sur le rocher des plus doctes hanté, 
falloy errant avec mon cher dAmboise, 
Trois fois heureus si ceste vieille noise 
N'eût contre moy le petit Dieu armé. 
Depuis le tams, ce garson enflammé 



-47- 

Ne cessait point qu'il n'eut, par ses amorces, 
Renversé bas mes trop superbes forces. 
Ce fut bien tost : à la célérité 
Je m'apperceu de sa divinité. 
Le clair Phœbus a la tresse dorée, 
Entre les bras de la vierge etherée, 
Source et autheur de lumière et éFamour, 
Aus Contre-piez departissoit le jour, 
Et la Diane au ciel qui étincelle 
Montrait V argent de sa corne jumelle 
Luisant sur nous qui V Ourse regardons : 
Tout estait plein de mil petits raions, 
Mil petits feus qui, parmi la nuit brune, 
Suivaient le cours de V argentine Lune. 
Quand, de fortune, axant mi-clos les yeus, 
Presque abatu du sommeil gratieus, 
De toutes parts je vy luire ma chambre. 
Je n'eu sur moy veine, tendon, ny membre 
Qui ne tremblait dune soudaine peur. 
Je me levay craignant que le malheur 
N'eût embrazé le lieu de ma demeure. 
Estant levé je vy, je vy sur l'heure 
Une déesse, image de beauté, 
Riche en habits, aiant a son costé 
Un petit gars, qui la face voilée, 
Suivait sa mère icy bas dévalée. 
Le cueur me dit que c 1 estait Cupidon 
De quij'avoy méprisé le saint nom, 
Accompagné de la belle Ericyne. 

Epouvanté de chose si divine 



Humble, j'adore et la mère et le fils; 
Mais la déesse, ainsi que je luy fis 
A deus genous l'honneur qu'elle mérite, 
Les y eus ardans, encontre moy dépite; 
De tels propos accuse mon orgueil. 
L'oiant parler, j'avoy la larme a l'œil. 

Tu sentiras, pour ton outrecuidance, 
Que vaut avoir méprisé ma puissance; 
Avant qu'au ciel tu voye de retour 
La sombre nuit obscurcissant le jour, 
Tu connoitras que ton ame mutine 
Devait priser davantage Ericync. 

A tant se teust la déesse, et soudain 
Avec son fils qui m'avoit a dédain 
S'envole en Vair et mi-mort me delesse. 
Toute la nuit je soupiray sans cesse 
Jusques a tant qu'avecque la clarté 
Du beau Soleil, revint ma liberté. 
Je disoy tors que ce n'estoit qu'un songe ; 
Plus folj'estoy de croire un tel mensonge. 

Plus que jamais, gaillard et éveillé, 
Je sors du lieu ou j'avoy sommeillé 
Et m'achemine au palais de la ville. 
Mais tout sur l'heure, ô qu'il est difficile 
De résister a la force des dicus, 
Un bel objet s'offrit devant mes yeus 
Qui m'a depuis assés fait apparoitre 
Qu'on ne doit point Cupidon mesconnoitre. 



-49- 

Depuis ce iamps, je n'ay eu que du mal : 
Le soin me suit a pié et a cheval 
Représentant à ma folle cervelle 
Le saint portrait dune dame cruelle. 

Vous, jeunes gens, qui, pleins de liberté, 
Mesconnoissez toute divinité, 
A mon exemple, apprenez de bon heure 
A craindre Amour: C'est la voye plus seure, 
ff aimer de gré celuy mesme qu'on craint; 
N'attendre point que Von y soit contraint. 



XXVII 
EPITHALAME 

Ï>E MONSEIGNEUR Q4NNE DE JOIEUSE 

DUC ET PAOt DE FRANCE 



e père Odrisien, quittant la froide Trace, 
é Au milieu de la France avait choisi sa place, 



i Anne de Joyeuse, favori de Henri m, d'une ancienne 
maison de Languedoc, né en 1564, fut d'abord connu 



— 80 — 

Et, suivy des Fureurs, faisait de toutes pars 
Ondoier parmy l'air ses rouges etandars : 
La jeunesse bouillante, au plus fort des alarmes, , 
Désirait se bâtir un tombeau dans ses armes, 
Ou, planter sur son chef un laurier mérité, 
Par la force et valeur tfun courage indonté, 

Quand le filz de Vénus, le petit Dieu volage, 
Sentit d'un grand dépit bouillonner son courage 
Jalons que le fier Mars sur tous les autres Dieus 
Se faisait honorer des jeunes et des vieus : 
« Si verrais-je le tamps, commença Vil a dire, 
Que tout sera subjet aus lois de mon Empire! 
Je jure par mon arc, ma trousse et mon flambeau, 
Que rien n'erre au profond des abîmes de Veau, 
Rien ne soupire en Vair, rien ne vit sur la terre 
A qui doresnavant je ne face la guerre. 
On viendra m'honorer et, sur un riche autel, 
Le monde invoquera mon saint nom immortel. > 

Il n*eust pas si tost dict que ses ailes dorées 
Traversèrent du ciel les voûtes etherées ; 

sous le nom de duc d'Arqués. Use concilia de bonne 
heure les bonnes grâces de Henri in qui le créa coup 
sur coup v duc et pair, amiral de France, premier gen- 
tilhomme de laChambre et gouverneur de Normandie. 
Ce roi lui donna en mariage (1581) Marguerite de 
Vaudemont-Lorraine r sœur de la reine. Le roi paya 
lui-même les frais de ce mariage, qui s'élevèrent à la 
somme de 1,200,000 livres! 



— 81 — 

Il vole. sur les eaus, il vole aus bois assers 
Et doute les poissons, les oiseaus et les Gers. 
Jà tout estait en feu, tout, a son arrivée, 
Sentoit le chaud brasier dune flamme couvée; 
Quand Venus aime-ris, Venus, mère d Amour, 
Voiant son petit gars ainsi perdre le jour, 
Luy dit en souriant : « Tu bâtis sur Vareine ", 
Tu te gastes, mon filz, tu pers toute ta peine, 
Tu voudrais V égaler a la force de Mars * 

Eprouvant sur les Cerfs la pointe de tes dars / 
la belle dépouille ! V heureuse victoire t 
Si tu veus en ton faict acquérir de la gloire, 
Il faut, mon cher enfant, choisir un brave cueur 
Et par subtilité l'en rendre le vainqueur. 
Quel honneur te fit-on quand le fier Alexandre 
Rengea sous toy V Avril de sa jeunesse tendre, 
Et qu'un brave César, la perle des Romains, 
Suyvit ta coche dor axant jointes les mains ! 
(Test envers telles gens qu'il faut montrer ta force, 
Veus4u te faire grand? D'une subtile amorce 
Va le cueur enflammer de V homme, en qui les dieus 
Ont mis ce qu'ils avaient de plus beau dans les cieus. > 

Cest d Arques* dontlecueurrienqu'un Mars ne soupire ! 
Mon fils, si tu pouvais ranger sous ton empire 



1 Sur le sable, arena. 

* Joyeuse, avons-nous dit, fut d'abord connu sous 
ce nom. 



-58 - 

Un si brave seigneur, tu serois bien vangé - 
De ce Dieu qui nous a tant de fois outragé. 
Faire tu le peus bien : y a fil rien au monde, 
Soit qu'il marche sur terre ou qu'il noue dans Vonâe, 
Qui n'ait senty l'effort de ton trait acéré? 
Jupiter autrefois a ton nom adoré, 
Pluton l'a reconnu et moi-mesme, ta mère, 
Souvent ay sceu combien ta flèche, estoit amère. 
Va combatre hardiment, et remporte l'honneur 
D'avoir asubjety un si brave Seigneur. 

A tant se teut Venus : Amour, sur ses paroles, 
Branlast le cercle iïor de ses plumettes molles, 
Il s'approche du lieu ou d Arques séjournait : 
Ce pauvre petit gars de çà, delà tournoit, 
Etonné de Vaspecl d'un Seigneur, qui l'audace 
Portoil emprainte au front : il va de place en place, 
Mais tant plus il s'effraie, et, de peur qui le tient, 
Laisse tomber son arc ; froid et palle devient 
Comme l'ombre qui sort d'une tombe poudreuse! 
Voyez que peut l'aspect tfun' aune généreuse 
Qui se découvre a l'œil ! Le pauvre petit Dieu 
Eut voulu jamais n'eslre arrivé en ce lieu. 

De fortune, il avise une grande Princesse, 
Que dis-je une Princesse ? Une vraye Déesse 
Dont l'œil estoit si dous, si gentil et si beau 
Qu'il pensa bien lui-mesme ardre en ce feu nouveau. 
Orj'ay ce qu'il me faut, dit le fllz éCEricine, 
Je n'ose front a front et poitrine a poitrine 



-83 — 

Lui livrer le combat ; la ruse doit servir 
Quand Ja force né peut a son but parvenir ! 
Comme un éclair de feu, une vive étincelle 
Il entra dans les yeus de la jeune puceUe. 
La dedans, courageus, il eguise le fer 
De son trait reluisant ; commence à s'échauffer, 
A perdre toute peur ; il dresse un 1 embuscade, 
Et, trompant son acier au venin d'un' cHUade, 
Contre son ennemy jette cent mille dars. 

Ce courageus Seigneur, ce nourrisson de Mars 
Sentait bien à tous coups qu'une nouvelle plaie 
Luy ouvrait les poumons, la poitrine et le faye; 
Il ne scait que penser, et, tandis peu a peu 
Croissait dedans son coeur la force de ce feu, 
Son corps change couleur, presque réduit en poudre, 
Comme si Jupiter l'eust attaint de sa foudre. 
Il regarde les yeus où le volage Amour, 
Deloial et parjure arrestoit son séjour. 
Mais en les regardant, il sentait mille flèches, 
Mille traits acérés, mille vives flammèches, 
Qui sortaient aussy dru que, durant les frimai, 
La grêle en pelotions roide chet contre bas. 
Lors il s'apperceut bien dou venait la blessure ; 
Et si mesme dit-on que d Amour la figure 
Apparut a ses yeus, comme, sans y penser, 
Il voulait contre luy une flèche élancer. 

Aussy tost qu'il Veust veu, saintement il l'adore, 
Il le confesse Dieu, et, bien qu'il n'eust encore 



Tendu la main captive a chevalier qui soit, 
Si confessa t'U lors qu'Amour le surmontoU : 
Et toutefois non tant par force que par ruse; 
Mais quoyf Ainsi Amour les plus vaillants abuse. 

Cupidon, bien joieus de ï avoir surmonté, 
S'en court devers sa mère en luy ai/ont conté 
L'honneur qu'il remportoit dune proie si belle; 
Receut en son giron cent mille baisers d'elle. 

Triomphe maintenant, triomphe, Cupidon, 
El, puis qu'un tel Seigneur te demande pardon, 
Confessant que ta force est autre que la sienne, 
Espère iï obscurcir la gloire Odrisienne. 
Nous scavons bien que Mars, avec sa deité, 
Ne l'eut onc assailly sans estre surmonté. 
Et toy, petit garson, vray monstre de Nature, 
L'avoir si tost vaincu ! Par ce coup, je t'assure 
Que tu as, petit Dieu, plus acquis de renom 
Que n'a fait Jupiter, Mavors et Apollon. 
Doresnavant la France hardie et belliqueuse, 
Cédant a la chaleur d'une flamme amoureuse, 
Bâtira cent autels a ta divinité. 
De ma part, bien que j'eusse en mon cueur arresté, 
De suivre l'estandart des filles de Mémoire, 
Si me veus-je ranger avecque la Victoire; 
Aussy ce me serait folie de vouloir 
Résister a ce Dieu qui m'a semblé pouvoir 
Fléchir dessous ses lois les cieus, la terre et l'onde, 
Puiéque vaincre il a peu l'Hercule de ce mande. 



— 55 — 

(Test toy, mon duc, Vappuy et Vamour de ton roy, 
Filz d'un père guerrier, mais non pas plus que toy*, 
Effroy des ennemis, vray foudre de la guerre 
Et qui n'as jamais craint homme qui fust en terre! 

Un seul Dieu Va vaincu, encore ça esté, 

Qui est plus fin que luy ! par sa subtilité. 

Or depuis ce tamps là, Cupidon, dans tes veines 

Allume un chaud brasier pour accroitre tes peines. 

Tu n'as point de repos, un éternel soucy 

Ronge pour un bel œil ton courage transy. 

Le Soleil tout voiant, soit qu'il sorte de l'onde, 
Ou qu'il quitte la place a sa seur vagabonde, 
Si n'apperçoit-il point plus ardante amitié 
Que celle que tu porte a ta belle moitié. 
Endure encore un peu ; si les choses futures 
Se peuvent découvrir par mille et mille augures, 
J'espère qu'aujourd'huy, embrassant tes amours. 
Hymen à tes douleurs apportera secours. 
Joieusement joyeus tu jouiras, Joyeuse, 
Du joyau prelieus de ta chère amoureuse. 

Je voy desjà le peuple, en trouppes amassé, 
Désirant voir la fin de V œuvre commencé l 
L'appareil est superbe, et la magnificence 
Qui accompagne l'heur dune tell' alliance 
Montre l'affection qu'un chacun a de voir 
Ce beau couple d'Amour, en leur fortune avoir 



* n était fils de Guillaume, vicomte de Joyeuse. 



-86- 

Une stabilité que le tamps ny Vernie 

Ne puisse renverser tant qu'ils seront en vie. 

Maisja la nuit s'avance, et le ciel, desireus 
De voir, tout a son aise, un si bel amoureus 
Vivre et mourir ensemble au giron de sa Dame, 
Allume mille feus, contre lesquels s'enflamme 
Le clair -luisant Vesper qui, d'un feu plus subtil, 
Ravit les jeunes cueurs de ce couple gentil. 
Mais voyez son vainqueur avecques Citerée 
Tenant dedans sa main une torche sacrée, 
Et de Vautre, un carquois: de son œil doux-riant 
Beneistre la couchette, et, trois fois tournoiant, 
Epandre à pleines mains le thin, la marjoleine, 
Les roses, les œillets, et jeter un' haleine 
Qui parfume la chambre et chatouille nos cueurs. 
L'on n'attend plus qu'Hymen, car les Charités seurs 
7 sont dès le matin ; Vien donc, o Hy menée, 
Portant, dessus ton dos, ta chappe ensaffranée 
Et couvrant tes deus piez d'un beau brodequin bleu. 
Apporte dans ta main un flambeau dont le feu 
Entretient la chaleur dun Amour chaste et sainte t 
Mais le voicy venir, n' ayons ja plus de crainte t 
Que reste il plus, o dieus ! que les deux cueurs amans 
Ne puissent mettre a fin le mal de leurs tourments. 

Entrez, gentils amans, entrez dans la couchette, 
Mettez, toute la nuit, bouchette sur bouchette, 
Front sur front, œil sur œil : soûlez vos cueurs frians, 
Tout vous sera permis } de mille passetamps, 



— 57 — 

Qu*on puisse les poissons sous un nombre réduire, 
Les estoilles du Ciel qui commencent a luire, 
Si Von peut ceste nuit rendre conte desjeus, 
Des baisers, des plaisirs, receus entre vous deus. 
Comme le verd lierre a un chesne se lie 
Et de cent mille nœus autour de lui se plie, 
Ainsy lacez vos bras et, de cent mille tours, 
Entretenez le jeu de vos chastes amours . 

Puisse de tels esbats, tous les ans, un fils naître, 
Qui soit comme le père aus armes bien adestre, 
Et, semblable à la mère en grâce et en beauté, 
Toujours avecques eus soit la félicité, 
Tousjours de plus en plus fleurisse le lignage 
Qui, brave, sortira d'un si beau mariage l 



XXVIII 

EPITHALAME 

DE {MONSEIGNEUR DE LA VALETTE 
ET MADEMOISELLE DU BOUCHAGE ft 

Si jamais, race Latonide, 
Ton cueur sentist les traits d'Amour, 
En faveur du Dieu qui nous guide 
Cache tes rais avec le jour, 
* 
t Bernard de Nogaret, seigneur de la Valette, amiral 



-58- 

Fay place à la nuit qui, tardive, 
A grande peine encor arrive. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée ! 

Fuy donc, Soleil, fuy; mais toy, Lune, 
Montre au Ciel ton beau front luisant. 
Si tost qu'au Ciel ta face brune 
Apparoislra sous un Croissant, 
Geste brigade couronnée 
Chantera les feus d hymenée . 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

J'appercoy le jour qui s'élance 
Dans le creux des marines eaus, 
Je voy la Lune qui s'avance 
Avec mille et mille flambeaus, 
La nuit vient, Vetoille est prochaine 
Qui les cueurs des amans enchaîne . 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

de France, gouverneur de Dauphiné-Provence, etc., 
reçu chevalier des ordres du roi le 31 décembre 1663, 
naquit en 1553 . Il fut tué sous les murs de Roquebrune 
en Provence le II février 1592. Il ne laissa point d'en- 
fants. 

Il avait épousé Anne de Batarnay du Bouchage, fille 
de René, comte du Bouchage et d'Isabel de Savoye- 
Tende, au Louvre, le mardy 13 février 1061. 



Je te salue, gentil Astre, 
Gentil Vesper, honneur des cieus, 
Luy ce soir, chasse tout desastre 
Par les rais de ton feu gratieus, 
Fay ceste nuit la plus heureuse 
Qu'ail jamais veu couple amoureuse 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée î 

Ceste nuict,yesper doit conjoindre 
Deux âmes, que le saint Amour 
D'un si ferme nceu vient eiraindre 
Que jamais on ne verra jour 
Ou ceste amitié destinée 
D'aucun d'eus soit abandonnée. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

Luy donc à ce coup, belle étoilte, 

Puisque ja le Soleil lassé 

Se couche, faisant place au voile 

Du Croissant qui s'est avancé. 

Luy donc, Vesper, et favorise 

Ces deux cueurs qu'Amour marlirise. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

Or sus, voiey la nuict venue. 
Pages, qu'on oste la clarté, 
Laisson ceste couple mi-nue 
Recevoir le fruit souhaité 



-00- 

Le fruit dont Venus la déesse 
Charme des amans la détresse! 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée l 

Que Us Nimphes et les trois Grâces, 
Compagnes du petit Archer, 
Ne puissent jamais estre lasses 
ïï embaumer leur lict au coucher, 
Versans la rose doux-flairante, 
Le lis, V œillet et Vamaranthe. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

Les Cupidonneaus, de leurs estes, 
Puissent, en signe de bon heur, 
Soufler les vives étincelles 
Dont brûle Vun et Vautre cueur, 
Pendant que leur aisne demeure 
A soigner que le feu ne meure . 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

Couple d'amans, la plus heureuse 
Que jamais choisit Cupidon, 
Nourrissez d Amour le brandon. 
Amour est celuy qu'on dict estre 
Des hommes et des dieu* le maistre. 

Hymen, hymenée , 

Hymen, hymenée. 



— M - 

Toy, espous, presse moy la bouche, 
Presse les couraus jumelets 
De ta déesse qui se couche 
Mi-morte entre tes bras douillets ! 
Baise la cent fois, et soulage 
Le mal de ï amoureuse rage. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

Toy, déesse, qui point ne cède 
A celle qui donne le jour, - 
Pendant que ton cueur lu possède 
Qu'entre tes bras est ton amour, 
Nourris de mille mignardises 
Tes amoureuses convoitises. 

Hymen, hymenée, 

Hymfin, hymenée. 

Dieus, faites qu'en telle Concorde 
Toujours fleurisse leur maison ; 
Jamais ne rompe la Discorde 
Une si ferme liaison. 
La paix et Yhonneur, a loùV heure, 
Avec eus fasse sa demeure 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

Que d'un* amitié si Malle 
Puisse mitre un enfant guerrier, 
Qui le père et la mère égalle, 
Ornant son chef Hun beau laurier 



Qu'il gaignera, suivant la trace 
Des braves ayeuls de sa race. 
Hymen, hymenée, 
Hymcn> hymenée ! 



XXIX 

CHANT NUPTIAL 

DE MONSEIGNEUR LE CONTE DU BOUCHAGE 

ET 

{MADEMOISELLE DE LA VALETTE « 

LES MAKIEES, LES PILLES. 

Compaignes, levez-vous, ja Vetoille dorée 
De la belle Vénus, reluit dedans les cieus. 
Il faut lever les bancs ; voyez devant vos yeus ; 
Voicy: Vespouse vient, des filles entourée ; 
Hymen, hymenée, 
Hymen, hymenée. 



* Henry de Joyeuse, comte du Bouchage puis duc 
de Joyeuse, pair et maréchal de France, chevalier des 
ordres du roi, etc., etc., naquit h Toulouse en 1867. 



-83- 



LES FILLES. 



Filles, voyez vous bien ces Mies mariées ? 
Allons contre hardiment ; pensez, Vesperja luit, 
Elles sortent de table : on sent venir la nuict ; 
Elles sont pour chanter contre nous envoyées . 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

LES MAJORES. 

Femmes, nous n'aurons pas la victoire a notre aise; 
Ces filles ont du cueur : elles s' apr estent bien. 
Si je ne suis trompé , elles ne diront rien 
Qui au plus dedaigneus de la trouppe ne plaise. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 



Se fit capucin après la mort de sa femme, sous le nom 
de père Ange ; sortit du cloître pour se mettre à la tète 
de la Ligue, y rentra, et mourut à Rivoli le 38 sep- 
tembre 1606. 

n épousa Catherine de Nogaret la Valette, fille de 
Jean Nogaret, seigneur de la Valette, et de Jeanne de 
Saint-tary de Bellegarde . Elle fut enterrée dans l'église 
des Gordeliers de Paris, le H août 1687. 



-64- 

LES FILLES. 

Filles, commençons donc : il ne faut jamais craindre. 
Pallas sera pour nous ; car sa divinité 
Tousjours garde le droit de la Virginité ; 
Jamais Hymen n'a peu a ses loix la contraindre. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. ^ 

LES MARIÉES. 

Femmes, asseurex vous : au lieu d'une déesse, 

Nous avons Juppiter, Vulcan, Juno, Venus, 

Pluton, Mars, Apollon et les Sylvains cornus ; 

Ces Dieus, epoins d Amour, Hymen, chantent sans cesse. 

Hymen, hy menée, 

Hymen, hy menée. 

LES FILLES. 

Vesper, quel Astre aus cieus est plus emeu de rage 
Qui les filles ravis du sein de leurs parent ? 
Que font déplus cruel les ennemis courans 
Dans une ville prise a force de courage. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

LES XASIEES. 

Vesper, quel Astre aus cieus vow est plus agréable! v 
C'est toy qui de Um feu confirme les accors, 



(Test toy, Vesper, qui joins les amans cors a cors : 
Y a Vil rien, à Dieux, qui soit plus souhaitable. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

LES FILLES. 

Vesper y tu nous ravis la douce compagnie 
De celle d'où nous vint nostre premier honneur, 
Hélas, elle perdra ses plaisirs et son heur: 
Hymen porte avec soy delà peine infinie. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

LES MARIÉES. 

Pour un bien qu'elle omit, elle en aura cent mille ; 
Que peul-on comparer ans doux embrassemens, 
Ans devis gratieux de deux fidels amans? 
A faute de ces biens, malheureuse est la fille. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

LES PILLES. 

Comme la tendre fleur des autres écartée, 
Dont le chef n'est foulé par la corne des bœufs, 
A le teint beau et frais, honneur des champs herbeus, 
Et se voit a jamais tfun chacun souhaitée; 



Mais, comme quand la mesme, au lever de V Aurore, 

A senty l'ongle dur d'une pillarde main 

Et qu'elle se fanil dedans un étroit sein, 

On n'en tient plus de conte et plus on ne l'honore;. 

Ainsi quand une fille est encore pucelle 
On la prise beaucoup; chacun luy faict honneur, 
Mais quand elle a perdu ceste divine fleur, 
Fillettes, croyez-moi, on tient peu conte d'elle! 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

LES MARIÉES. 

La vigne qu'on nourrit dans une plaine nue, 
Mi-morte gist a terre et, n'aiant point d'appuy, 
Perd toute sa vigueur, ne rapporte aucun fruit 
Si qu'elle est d'un chascun pour morte reconnue* 

Mais quand elle se trouve auprès de quelque plante, 
Elle dresse le chef, élV embrasse le bois, 
Elle porte du fruit: d'une commune voix 
Le vigneron la prise et heureuse la vante. 

Ainsi la fille seule, en son lict esphrée, 
Perd les lis de sa face et le beau de ses y eus, 
Mais quand elle est auprès d'un mary .gratieux 
Lors voit-on sa beauté de mille dons parée. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée . 



- 67 - 

LES FILLES. 

Ainsi avienne, o dieus ! Ce serait grand dommage 
Qu'un* telle déesse eut perdu son bon heur. 
Pour sa virginité luy avienne l'honneur 
Que promet le succès dun si beau mariage. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée. 

LES MAKIEES. 

Filles, cessez vos pleurs, la verlu agréable 
De son loial espoux, vous doit bien contenter; 
La dame est belle et douce: aussy on peut^vanter, 
Son espoux destre beau, cour lois et amiable. 

Hymen, hymenée, 

Hymen, hymenée! 



<ï>>fr 



-68- 

XXX 

A MONSEIGNEUR LE CARDINAL DE JOIEUSE i 

Mon Prélat en qui les Dieus 
Ont fait écouler des eieus 
Ce qu'il y avoit de rare, 
Qui est le Scythe barbare 
Qui n'aimer oit la bonté, 
Le scavoir, la saincteté 
Qui desjà vous fait eonnestre 
De tout le monde, pour estre 
Le miroir où se peut voir 
Quelles vertus doit avoir 
L'homme de bien qui désire 
Au ciel, un trouppeau conduire? 



* François de Joyeuse, archevêque de Narbonne, puis 
de. Toulouse et de Rouen, prétre»cardtaal de Saint- 
Sylvestre et de Saint-Martin-aux-Monts et de la Trinité- 
du-M ont, évéque d'Ostie, doyen des cardinaux, n naquit 
le 24 Juin 1562. Second fils de Guillaume n de Joyeuse» 
maréchal de France, et de Marie de Batarnay. Ce per- 
sonnage prit une part active aux affaires pendant les 
règnes de Henri m, Henri IV, tint Louis xm sur 
les fonts baptismaux, sacra Marie de Médicis, à Saint- 
Denis, Louis xm, à Reims. U mourut à Avignon le 
27 août 1615. 



-89- 

De ma part, tous mes esprits 
De merveille sont épris, 
Vous voiant en si bas âge 
Si bon, si docte et si sage! 
Voir un homme cassé d'ans, 
Mépriser les passetams 
Du monde qui nous incite, 
N'est pas chose qui mérite 
De l'avoir en grand honneur; 
Mais celuy qui, en la fleur 
De sa plus verte jeunesse, 
Rend sa raison la metresse 
Et donte, par la vertu, 
La chair qu'il a combatu, 
Je donne a telle personne 
Par dessus tous la couronne. 

Que ferais-je donc icy, 
Mon Prélat, le cher soucy 
Des Muses et de l'Eglise? 
Mon Prélat, que chacun prise 
Pour avoir en sonprintams 
Méprisé les passetams 
Que nostre ennemy prépare 
A la brebis qui s'égare. 

Venez, des bons le miroir, 
Que je fasse mon devoir t 
Venez, que d'une couronne, 
Voslre teste j'environne! 



- 70- 

Venex, que, tout le premier, 
Je vous orne éFun laurier: 
Récompense bien petite 
S f on regarde le mérite l 
Mais quand Von aura songé 
Le peu de moien quej'ay, 
Von trouvera ceste offrande 
Estre pour moy assez grande l 



XXXI 
ADIEU 

A TOUTES FOLLES AMOURS 



•^vub te sert, Cupidon, iïeguiser tant de fleschesf 
w Allumer près de moy tant de vives flammèches? 
ImpôTrtun que tu es! comme si tu pouvais 
Maintenant esclaver mes espris sous tes lois! 
Arrière, Cupidon! Tu n'y pers que ta peine, 
Je ne suis plus celuy qu'une puissance vaine 
Epouvantoit, alors que mon cueur enchanté 
Adorait, idolâtré, une douce beauté! 
Je veus doresnavani, de bouche et de pensée, 
Adorer, non ton frère ou ta mère incensée, 



- 71 - 

Mais bien, mais bien le Dieu qui, source de tout bien, 
DeUorera mon cueur de ton faille lien. 

Ce Dieu n'est, comme toy, inconstant et volage, 
Et n'a lé dos armé $un reluisant plumage: 
Cest luy qui a crée, V espace de six jours, 
Tout ce que nous voyons, d'un infaillible tours, 
Tournoier dans les cieus, tout ce que Vair enserre, 
Ce que nourrit la mer, ce que porte la terre l 

père et créateur qui es la haut ez cieus, 
Becoy entre tes bras un pauvre serfhonteus 
Qui, outré de douleur, entre espérance et crainte, 
N'ose lever les y eus vers la majesté saincte! 
A toy doresnavant je me veus adresser, 
Détestant a jamais ce que j'osoy priser; 
Je banniray de moy l'orgueil, la jalousie, 
La rancune, l'Amour, la colère et l'Envie. 
Je vuideray mon cueur de ces horribles maus, 
Et, retirant mes pas des antres infernaus, 
Sire, je te suivray portant ceste croix sainte 
Qui est, hélas! Seigneur, de ton sang toute tainte. 

Or, pour mieux accomplir ce dontj'ay volonté, 
Enflamme mes esprits du feu de Charité, 
Plante dedans mon cueur une foy si constante 
Que des malins démons, la brigade méchante, 
Ne puisse V ébranler non plus qu'un gros rocher 
Dont le superbe chefaus cieus semble toucher I 

Adjoute, Créateur, une ferme espérance 
Qui gouverne mon ame et luy donne allégeance, 

3* 



-71- 

Lors que le désespoir conduire la voudrait 
Dans l'abîme ou jamais lumière ne verrait. 

Assiste moy toujours, o Deité sacrée. 
Et remets au chemin ta brebis esgarée. 



FIN. 

C. DEMORENNE parisien. 
1584. 




POÉSIES 

DE CLAUDE DE MORENNE. 



LIVRE SECOND. 




LE SECOND LIVRE 



LE PRINTAMS 




> uajïd le Printams, dunbelemailpinture 
r Le champ fteury que l'ingrate froidure 

PHvoit de ses couleurs: 
[Et que le jour, d'une serène flamme, 
\Sortantdesmus,toutkrnonder'mfUxmme, 
Élevant les vapeurs. 
Qui est celuy qui, trop par esseus, n'ose 
De son logis ouvrir la porte close 

Pour venir s'égaier ? 
Quiconque il soit, il a un cueur de pierre, 
Tout a Ventour un gros rocher l'enserre, 
Difficile à ploierl 



-76- 

C'est un mortel empierré par Méduse 
Qu'un grief soucy incessamment abuse: 

Passant en vain son temps! 
S'il estait homme et qu'il eut du courage, 
A mon avis il serait bien plus sage 

N'enviant sur ses ans. 
Hé pourquoy, Dieu! la beUe Dame Flore 
Faict-elle aus champs diverses fleurs éclore 

D'un flair deliciéus, 
Sinon, afin que toute chose rie, 
Voiant de fleurs couverte la prairie, 

Riche présent des deux! 
Les oisillons, échauffes de Nature, 
Tout aussy tost qu'ils voient la verdure, 

Qui renait tous les jours, 
Parmy le vuide, a force de crespines, 
Tressaillent gais, et aus forets myrlines 

Racontent leurs amours. 
Voy tu Richer, Richer, qui, au Parnasse « , 
Dès le berceau receus la sainte grâce 



* Nous croyons qu'il s'agit ici du fameux Edmond 
Richer, grand maître et principal du cardinal Le Moine 
en 1994, devenu célèbre plus tard par ses démêlés avec 
Rome et le Parlement, pour son ouvrage intitulé : De 
la Puissance ecclésiastique et politique. Dans cet ou- 
vrage, il établissait les principes sur lesquels il pré- 
tendait que les maximes de l'Église de France et de la 
Faculté de Paris, touchant l'autorité du concile gêné* 



— 77 — 

De composer des vers, 
Voy tu, te dis-jc, en Vair, une linotte 
Qui tranchant Vair mignardement gringotte 

Cent mille chans divers. 
On dict qu'Argus, pasteur Aristoride, 
Pour mieux garder la chetwe Inackide 

AvoU au front cent yeux; 
Mais moy, Richer, avoir milles oreilles 
A celles-là du Phrigien pareilles 

je demandroys aus dieus, 
Pour écouter les' sons, les mignardises, 
Les doux mottetz, les attraits, les délices, 

Les (redons et les chants 
De tant oVoiseaus qui, parmy *ce grand vuiâe, 
Epoinçonnez de V amour homicide, 

Font retentir Us champs. 
Le Tracien, V adultère Terée, 
Prognê sa femme et sa seur conjurée, 

Me semblent bien heureus 
Quand, par arrest de ceste court céleste, 
, Furent changez en oiseaus, afin àïcstre 

Tousjours dedans les cieus. 
Et vous aussy, génies filles cFArrie, 
Qu'Agamemnon, ce pendant qu'on vous lie, 



rai et du pape, étaient fondées. Voir: Histoire du 
Syndicat d'Edmond Richer, par Edmond Richer lui- 
même, in-8*. Paris, 1725. 



- 78- 

Vit devenir oiseaus : 
Qui maintenant trairiez de Citherée, 
Parmy le ciel, la charrette dorée, 

Libres de mille mous. 
Tout un Soleil, vous estes par les pries 
A vous baiser, et, $ ailes bigarrées, 

'Pratiquer vostre amour. 
Tantost, au bord d'un verdoiant rivage, 
Vous vous marches, comme un roy fier-visage, 

En son royal séjour. 
Tantost, volez cf wn aile si légère, 
Qu'en rien, avez affranchi la carrière 

Ou dressiez vostre vol; 
Puis, vous dormez, en vostre chaste couche, 
Lors que Phœbus dedans la mer se couche, 

Un somme doux et mol! 
En tout le monde, il n'y a rien que l'homme 
Qu'un dur soucy incessamment consomme, 

Le pinçant a tout coups ; 
Dieu a si cher une raison vendue 
Qu'il vaudrait mieus ne l'avoir jamais eue 

Que d'estre ainsy tousjours. 
L'Ambition, l'honneur, la convoitise, 
Dedans nos cueurs ardentement éprise 

Engendre mil soucis, 
Puis, au réveil et au coucher de l'Astre, 
Cause clarté tousjours quelque desastre, 

Bourrelle nos espris! 
Et puis, la mort, qui tousjours nous talonne, 
Bien souvent, lorsque Dieu du bien nous donne, 



- 79 — 

Vient maire âge finir ! 
Mieus eut valu, vivant, vivre a nostre aise 
Que se paissant de chose qui déplaise, 

Avant le taras mourir! 
Doncques, Richer, allon quelque part rire: 
Ce n'est point moy qui veuille contredire 

Aus honestes ébas : 
Prenons le tamps, usons de la fortune, 
On ne rit plus quand la mort importune 

Nous a mené là-bas! 



II 

LES PLAINTES DE LA FRANCE 

sua 
LE DÉPART D'HENRY DE VALOIS, 



EN FORME D'ÉGLOGUE 

essous le voile obscur oVune nuict claire brune, 
Entre mille Astres oVor, le croissant de la Lune 



D 



1 Henri m, élu roi par les Polonais après la mort 
de Sigismond Auguste, le 9 mai 1573, reçut la nouvelle 



-80- 

De ses deux cornichons embelissant les deux 
Prodiguoit aus humains un sommeil gratieux: 
Tout estoit en repos, et les bestes lassées 
En leurs trous sommeilloient a testes abaissées ; 
Quand, sur le haut sommet iïun roch des deux voisin, 
Frandne en larmoiant se baigna tout le sdn. 
Dessus le verd tapis pleurante, elle se couche 
Puis ouvre en soupirant le cor al de sa bouche: 

« Dieus, que ne m'avez vous destinée au trépas, 
Le jour que raviriez entre mes propres bras 
Celuy quej'ayme mieux que mon cueur et ma vie? 
Ha, cruel Henriot, tu brûle donc ffienvie 
De quitter ces beaus lieus, de roses tapissés, 
Pour suyvre des Polacs les chams toujours glacés < ? 

Icy, dès le matin jusques à la serée, 
Y danse des Sylvains la trouppe enamourrée: 
Apollon y soupire encore ses amours. 
Venus axant quitté son palais et ses tours, 



de son élection pendant qu'il faisait le siège de la Ro- 
chelle. Il alla prendre possession de son nouveau 
royaume et fut couronné à Cracovie le 15 février 
IB74. 

* Surnom des Polonais. Ce nom vient de la Polaquie 
ou PolaUnat de Bielshio, Polachia, Podlacchia, Pola- 
tinatus Bielcensis. Cette province était située entre 
la Mazzonie propre, la Prusse, la Lithuanie, la Polésie 
et la Haute-Pologne. 



- 81 - 

Son verger Gnidieni Eryee etAmatonte* 
Loge dedans ces chants . (Test Amour qui la donte, 
Et qui, pour un berger, consomme peu à peu 
Ceste belle déesse aux flammes de son feu. 

Un printams éternel, une amoureuse Flore, 
Aussy tost que rougit dedans les deux V Aurore, 
Icy, parmy les chams, en diverses couleurs, 
Dessous un air musqué faict epanir les fleurs. 

Approche toy, mignon, et, dedans ce bocage, 
Voy la gaye verdure et le feuillu ombrage 
Des chesnes qui en large étendent leurs rameaus. 
Là se niche Henriot, une trouppe oVoiseaus 
Qui, au retour du fil* de la belle Latone 
Jusques a son coucher, incessamment fredonne: 
Le ciel en retentist, puis la voisine mer 
Doucement en murmure et, calme, semble aimer 
De ces cliantres ailez Vordinaire harmonie. 

Avise si tu veux icy passer ta vie, 
Jouissant des plaisirs qu'un verdoiant rocher 
Départit au réveil, départit au coucher 



' De Gnide, ville de l'Àsie-Mineure. 

1 Ville de Chypre où Vénus était honorée. Elle 
y avait un temple où l'on sacrifiait les étrangers 
sur ses autels. Cette cruauté l'irrita, elle changea les 
hommes en taureaux, ôta tqute pudeur aux femmes, 
de sorte qu'elles se prostituaient au premier venu. 



- 82- 

De Vœil aus rayons (for. Tu secoue la tette 
Ne prevoiant le mal d'une longue tempeste 
Qui te pend sur le chef, pour punir ton dédain. 
Tu fuis et prens la course ainsi qu'un lâche daim 
Voiant auprès de soy, aus rives désirées, 
Des chasseurs loin-crians les trouppes altérées. 
Tu vas ou le Vistule en ses plis furieux 
Estonne des passants les espris et les yeux. 

Ha donne toy de garde, ha! que la glace dure 
Ne te perce le pié! Que la palle froidure, 
Le glaçon, le frimas ne gaste ton menton 
Jaunissant, sous le beau dun blondelet cottan. 

Au moins atten un peu, atten que la fortune 
Calme les flots hydeus du parjure Neptune, 
Atten, mon Henriot, que le triste Orion 
Ait epandu ses eaus; atten que V Alcyon 
Avance ses petits, et que le doux Zephire 
Tendrement ses amours parmy les eaus soupire. 
Preste un peu ton oreille, écoute la fureur 
Des vents et de la mer! Hélas! J'ai grande peur 
Que tu ne serve aus vens de jouet et de proie! 
Henry, croy mon conseil et pren un' autre voye. 
Tu voy comme les vents, sortis de leur prison, 
Battent diversement de Thetis la maison. 

Ha mon Dieu! Tu Vert vas! des chevaus, la poussière 
Obscurcit les rayons de la sainte courtière, 
La courrière aus beaus doigts qui, mi-morte de deuil, 
Ennûe par dépit te cercle de son œil. 



-88 - 

Doisje suivre tes pas? Dois-je, en ta compagnie, 
Chétive que je suis, parachever ma vie ? 

Va seul ; j'espère, en brief 7 qu'un triste repentir 
Te fera de Vistule en mon Loire accourir. 



III 

LA JALOUSIE 



Bien grand fut le courroux de la Divinité 
Quand, pour punir le dol d'un larron effronté, 
Au monde elle -envoya les aspres maladies, 
Les travaus assidus, les peines, les envies, 
Les fortes, passions qui troublent les espris 
Des humains, quand ils sont de ces fureurs épris. 
Encore sxparmy ceste méchante race, 
Jalousie n'tust point au inonde trouvé place; 
Tout n'allait qu'assez bien : le taras et la raison 
Pouvoient aus auslres mavs apporter guérison. 
Mais las! A ceste cy Von n'y peut rien entendre! 
C'est un mal qu'on ne peut aucunement comprendre; 
Toutesfois un grand mal: quiconque en est taché, 
Il est morne, et pensif, hideux, palle, fâché ; 
Il ne sommeille point: tousjours en sa pensée 
Nourrit quelque soucy, dont son ame blessée 

4 



Endure plus de mal que ne faict Promette 
Qui lefoye a lousjours d'un aigle becqueté. 

Le Soleil donne-jour recommençant sa danse, 
Ne le trouve jamais qu'a son mal il ne pense: 
De mesme le voit-il, au beau milieu du jour ', 
De mesme quand il tombe en V humide séjour. 
La Lune, deploiant les pointes de sa corne, 
Lorsqu'après le Soleil par les deux elle tome, 
Le voit en mesme estât, gisant sur un mettras, 
Larmoiant, soupirant et croizanl les deus bras, 
Sa vie détestant et conjurant la perte 
De ceux dont il aura la faute découverte. 

Le creus des flots salez que les vents brise-tours 
Ebranlent quand Aeol les a delaché tous 
Et le tigre qui court après un qui emporte 
Ses petits derobbez, n'a la rage si forte 
Que celle d'un jalons qui, troublé de son uns, 
Souhaite a se venger du sang des innocent. 

Quels maus a faict Junon qui, d'un eclaltant foudre, 
Le cors de Semèlé fil convertir en poudre ! 
Ceste fause Junon en vieille se changea: 
Elle vint à la fille; elle V encouragea, 
Qu'estoit-il impossible a si grande déesse 
Qui voulait contenter son ame vengeresse? 
De prier Juppiter qu'elle peut Vembrasser 
Tel qu'il est quand il veut sa Junon caresser. 
Car plusieurs, disoiMle, ont abusé des filles 
Sous ce beau nom de Dieu ; ce sont ruses gentilles 



— 85- 

Qu'invente Cupidon pour favoriser cens 
Qu'il voit a le servir n'estre point paressent. 
Celuy qui, tous les jours, sous un titre si brave 
Jouit de ta beauté, est peut-estre un esclave ■ 
Qu'il te montre de quoy ; et s'il est Juppiter 
Demande luy, ma fille, à le voir et taster 
En la forme qu'il est quand sa femme il embrasse? 
La fille, qui ne sçait ce que Junon luy brasse 
Va droit à Juppiter: t Père, roy des humains, 
Qui gouvernes la Terre et tiens tout en les mains, 
Si jamais je t'ay pieu, donne moy à cest' heure 
Ce dont je tepriray. » — Jupin a la malheure: 
CJurisy, respondit-il, je jure par les eaus 
Du fleuve, qui la-bas, acouche ses ruisseaus, 
Par la rive du Styx, je te jure, mignonne, 
Qu'il n'y peut rien avoir que je ne te le donne. 
— « Tel que tu viens baiser Junon dedans les cieus, 
Tel aussy baise moy. » — Le grand Père desDieus 
Allait sur ce propos pour luy clorre la bouche, 
Mais elle avoitja dictl La douleur qui le touche, 
Jusqu'au profond du cueur luy gèle tous les os. 

Songeard, il monte aus cieus, arme son divin cors, 
De flamme inévitable; et, toutes fois } à l'heure, > 
Touché d'un vif regret qui au cueur luy demeure, 
Il laisse là ce feu; quoy que ce soit, l'Amour 
Avec la cruauté ne fisl oncque séjour. 
H a un autre foudre ou moins y a de force, 
Il s'en arme et descend. Semele se parforce 
De vouloir l'approcher: mais elle n'a pas sceu 
Supporter les éclairs et le bruit de ce feu. 



-86 - 

Toute vive elle brûle, et la peine supporte 
Que souvent wec soy Témérité apporte. 

L'enfant qu'avoit conceu de ce dieu Semelé 

Fut arraché soudain du ventre mùbrulé, 

Et, comme Von raconte, au dedans de ta cuisse 

Tu le nourris, Jupin, jusqu'à ce que lu visse 

Les neuf mois accomplis: alors Ino le prit, 

Le mit dans le berceau, quelque temps le nourrit, 

Et puis s'en déchargea aus Nymphes, qui cachèrent 

Le petit enfançon oi{ elles s'avisèrent : 

Pensez : dans quelque creus, dans quelque Antre moussu 

Afin que rien ne fust de Junon apperceu. 



IV 

Q4 MONSIEUR DE GROS <BOIS «. 

Le grand dieu des humains, d'une egalle balance 
Départit sespresens: et rarement se fait 
Qu'en toutes les vertus un chacun soit parfait : 
C'est un bien dont chacun n'a pas eu abondance 



t Nicolas de Harlay, seigneur de Sancy et de Gros 
Bois, conseiller du roi en ses conseils, surintendant de 
ses finances et de ses bâtiments, premier maître d'hô- 
tel en titre, rendit des services importants aux rois 
Henri 111 et Henri IV. 11 mourut le iô octobre idtt. 



— 87 - 

L'un a le doux parler, et, de sa docte bouche, 
Fait couler a Ions traits un ruisseau plein de miel; 
L'autre est tant favorit des estoilles du Ciel 
Qu'il est accort, humain, non barbare et farouche. 

J'en ay connu plusieurs dont l'esprit abandonne . 
Tout autre soin qui soit, pourveu que Veguillon 
Du dieu porte-laurier, du prophète Apollon, 
Les remplisse de rage et leur ame epoinçonne . 

J'en voy $ autres se rire et mépriser Fortune, 
D'autres porter la marque ou d'une austérité, 
Ou aVun cueur qui ne peut, esclave, être donié 
Par les appas sucrez oVune femme importune. 

Somme, on dit que pas un n'a tous les biens ensemble, 
Toulesfoisj'ay pensé avec bon argument, 
Que cela se devoit bien entendre autrement. 
Vous dirais-je pourquoy, cela vray ne me semble? 

Toute perfection, toute vertu commune, 
Reluit en vous, Monsieur, et ne sçaurait-on voir 
Les faits de vostre esprit, sa douceur, son sçavoir, 
Qu'on ne dise sur V heure, il ne s'en faut pas une . 



-88- 



A MONSIEUR LE SECRETAIRE RENÉ MOULINET ' 



Monsieur, c'est un grand cas que tout va de travers, 
Que toute chose icy est muàble et mortelle, 
Jouet de la Fortune et n'estant jamais telle 
Comme quand elleprist son estre en Vunwers. 

Ans Automnes vaincus succèdent les hyvers, 
Et puis, après Vhyver, vient la saison nouvelle, 
Ornant ce qu'est aus champs d'une parure belle, 
Belle et aussy sujette aus changemens divers. 

One seulle amitié que Vertu a plantée 

Comme un roch dont la cyme est dans les cieus entée 

Ne fiechist sous le joug de la mort ou du taras. 

Monsieur, telle est la vostre, et telle je la nomme, 
Telle me la portez, qui point ne se consomme 
Par la fière rigueur de la mort ou des ans. 



* René du Moulinet, secrétaire <Ju roi, avait épousé 
Madeleine de Menisson, dont il eut Marie du Moulinet, 
mariée le 3 mai 1582 à Jacques Mangot, sur la mort 
duquel de Morenne composa un sonnet, voir p. i4l. 



-89- 



IV 



LE TOMBEAU 

DU <RS>Y CHARLES IX 



Je veux, chélif François, je veux icy me plaindre ' 
Du destin envieux qui a osé contraindre 
Cliarles, V honneur du monde, et des bons le support 
Passer avant le taras VAchérontide bord. 
Sortez doncque, soupirs, sortez en abondance; 
Sortez, puisque aujourdfhuy nostre seule espérance 
A senty la rigueur des éternelles loix. 
Il faut que toute chose, à cause d'un Valois, 
Soupire en ce bas lieu ; il faut que ciel et terre 
Pleure un si bon seigneur, que le tombeau enserre ' ; 



i Édition de 1605: 
Je veux dedans ces vers, o déplorable France, 
Souspirer avec toy pour V ennuyeuse absence 
De Charles, Vheur du monde et des bons le support, 
Que le destin jaloux a conduit à la mort ; 
Sortez doncque, souspirs; sortez, regrets et larmes, 
Puisque Charles, f honneur des lettres et des armes, 
A senty la rigueur des éternelles lois. 

» Édition de i605: 
Pleurent un si grand Roy que le tombeau enserre. 



— 90- 

Que rien ne soit exent , qu'on ne voye que dueil, 
Que toute ame française ail les larmes à l'œil. 

Et toy, premièrement, Déesse aus doigts oVyvoire ', 
Qui enflamme V obscur de la Nuict sombre et noire, 
Demeure, belle Aurore, en ton licl paresseus, 
Sans epandre icy-bus l'or de tes blons cheveus ; 
Laisse, Déesse, laisse en la mer àbbaiante 
Croupir du dieu Phœbus la coche flamboyante. 

Toi mesme, o clair soleil, n'enlève point des eaus ', 
Pour èclaircir les cieus, tes bondissans chevaus ; 
Comme quand Phaéton, élandu sur la poudre, 
Fut altaint par le trait d'une éclaiianle foudre, 
Tu ne daignois cy bas epandre tes rayons 
Et sortir du profond des humides maisons: 
Ainsi, Soleil, ainsy la France infortunée 
Puisse passer sans toy ceste triste journée; 
Et bien que Juppiter, le grand maistre des Dieus, 
Contraindre te voulut de rallumer les cieus, 



* Édition de 1605 : 
Mais toy, premièrement, belle Aube au doigt oVyvoire, 
Qui chasse par les rays V ombre de la nuict noire, 
Demeure, luisant astre, en ton lit paresseux 
Sans espandre icy bas l'or de tes blonds cheveux 
Laisse pour cejourd'huy, en la mer ondoyante, 
Croupir du clair soleil la touche flamboyante. 

5 Ce vers et les onze suivants ne se trouvent pas 
dans l'édition de 1605. 



-94 - 

N'en fay rien, Apollon, le malheur de la France . 
Mérite qu'aujourd'hui le ciel soit en soufrance. v 
Car Charles, le support des armes et des Uns, 
Du monde le Soleil, et ï honneur des François, 
Hélas ! a cejouroVhuy a veu sa pauvre vie * 
Par le destin cruel en un moment ravie. 
Je meurs en le disant, et le seul souvenir 
Me faict tout aussy froid qu'un marbre devenir. 

Ha, fUandières Seurs! ha mort! ha destinée V 

Trop tost de noslre roy la vie avez bornée ! 

Tu devois, o destin, encore attendre un peu ; 

Aussy bien, tost ou tard, tu en eusse repeu 

La détestable faim de ta gloutonne rage; 

Tu ne devois coupper le filet de son âge » 

Qu'il n'eut premièrement renversé le mutin 

Qui, dans les champs François, se chargeait de butin, 

Voulant par glaive et feu ruiner la province * 

Et armer le subject contre son propre prince. 



t Édition de 1605: 
lamentable sort! a veu sa propre vie. 

' Édition de 1605 : 
Ha ciel impitoyable! ha mort, ha destinée! 

' Édition de 1605 : 
Attendre tu devois a terminer son aage 
Jusques au temps qu'il eusl renversé le mutin. 

* Édition de 1605 : 
Faisant d'un cœur félon, par toutes les provinces, 
Eslever les subjecis contre leurs propres Princes, 
Ha qu'il eust tost rangé tant de fiers ennemis. 



II eustbien tost rangé tant de fiers ennemis, 
Par douceur ou par force àlafoy reunis, 
Si le destin, hélas! envieus sur la France 
N'eust rendu par la mort vaine son espérance. 

Comme on voit au Printams, des la pointe du jour* , 
Dans un riche verger, la belle fleur d'Amour 
Etandre les replis de sa robbe dorée, 
Et, au soir, contre bas, toute décolorée * 
Mourir en languissant et perdre sa beauté : 
Ûu bien comme souvent un beau lis argenté • 
Est contraint de fléchir et abaisser la teste 
Sous V effort pluvieus d'une noire tempeste : 
Ainsi nostre bon roy plein de force et vigueur * , 
Montrant desja Veffect cFun invincible cueur 



* Édition de 1605: 
Mais quoyf Comme Von voit a la pointe du jour. 

> Édition de 1605: 
Et au soir contre bas toute descolorée. 

» Édition de i605: 
Ou bien comme au Printemps un beau lis argenté 

«Édition de 1606: 
De mesme on vit le Roy, en sa pleine vigueur, 
Soudainement sentir du destin la rigueur, 
On le vit, dis-je, lorsqu'il donnait espérance 
De n'avoir son pareil en justice et vaillance 
Par une froide humeur coulante du cerveau 
Sur ses poumons pourris, estre mie au tombeau. 



-93- 

Levait au ciel la teste et donnait espérance 
De n'avoir son pareil en vertu et vaillance, 
Quand une froide humeur coulante du cerveau 
Sur ses poumons pourris, le ravist au tombeau. 

France, que tu pers, perdant un si bon Prince » 
Perdant Charles, Vappuy et Vheur de sa Province ! 
Qui ne scait que s'il eust plus lontams demeuré 
Il eust renversé bas Vennemy conjuré? 
Remis en son estât et première franchise ' 
La France qui estait des ennemis surprise 1 
Prenant au poing la lance, ecorté d'un bon sort, 
H eust comblé les chams de maint ennemy mort. 

Comme on voit en hyver Aquilon rase-terre, 
Frapper, rompre, enlever, tout te qu'il trouve en terre* : 
Ainsy luy qui avait en Dieu son espoir mis * 
Eust a force rangé le camp des ennemis. 



* Édition de i605: 

France que tu perds perdant un si bon Prince. 

* Ce vers et les trpis suivants ne se trouvent point 
dans l'édition de i605. 

•Édition de 1605: 
Frapper, rompre, escarter tout ce qu'il trouve en terre. 

«Édition de 1605: 
Ainsi ce Prince armé tfun courage vaillant 
Eust a force rangé Vennemy assaillant. 



- 94 - ' 

Jamais encontre luy ne se fust élevée \ ; 

La trouppe qui avoit ceste guerre couvée: 

II eust, appaisanl tout, avec la bonne Paix s, 

Ramené la Vertu dans son riche palais; 

En cela fait semblable a la plante nouvelle t 

Vexée du mary dOrilhie la belle 

Qui rencontrant, après un favorable vent, 

Un Zephyre gentil, ses bras jette en avant, 

Se tient vers le Ciel droite et pousse dans les nues 

Le crespe refrizé de ses fueilles menues. 

De mesme noslre roy, qui avoit enduré 

Un tourbillon de guerre, un orage ferré * 



1 Dans l'édition de 1605 ces deux vers sont rempla- 
cés par les deux suivants : 
Et faicl cacher de peur au plus creux de la terre 
Les mutins qui avoient entrepris ceste guerre. 

» Édition de 1605: 
Si bien qu'appaisant tout, il eust avec la paix, 

* Édition de 1605 : 

Et comme vous voyez que la plante nouvelle 
Vexée pour un temps de vent, de pluye et gresle, 
S'elle rencontre, après un favorable vent, . ^ 
Un Zephire gentil, ses bras jette en avant, 
Se dresse vers le ciel et pousse dans les nues. 

•Édition de 1605: 
En V Avril de ses ans un orage ferré, 
Rencontrant le repos qui, comme un doux Zephire, 
Devoit conduire au port des François te navire, 
Eust bravement entré dans la voûte des deux. 



-95 — 

Eust rencontré la paix qui, comme un doux Zéphire, 
Eust a bon port conduit des François le navire. 
Et lors Dieu scait s'il eust enté dedans les cieus 
Sa vertu, sa justice et son nom glorieus. 
Mais lasî mais las! le sort et V envieuse Parque * 
L'ont fait soudain passer dans Vinfernalle barque. 
Mais que dis-je, bons Dieus ! que la Parque et le sort 
Sur Charles de Valois ait esté le plus fort! 

Prince, pardonne moy, la douleur qui m' a/folle 
M'a fait, sans y penser, lâcher ceste parolle. 
Charles, je scay trop bien que, non le sort mais Dieu, 
Pour te faire plus grand, Va osté de ce lieu. 
Tu n'y avois que peine, et toute la journée 
Ton ame estait a Mars ou Pallas adonnée, 
Et, comme Promethé de son foye éternel 
Repart dun grand vautour l appétit immortel. 
Ainsy tousjours au fond de ton ame songearde 
Séjournait quelque soin, qui, de sa dent rongearde, 
Bourrelloit ton esprit. Mais or, exent de maus, 
Tu vis heureusement entre les saincts trouppeaus; 
Tu vois dessous tes piez le Soleil et la Lune, 
Les feus qu'on ne peut voir que durant la nuit brune ; 



t Édition de 1605: 
Mais las! mais las! le sort et l'ennuyeuse Parque, 
L'ont fait soudain passer dans la commune barque. 
Ha, que dis-je, bon Dieu! que la Parque ou le sort 
Contre un si grand monarque ay esté k plus fort. 



-96- 

L'a&r, la mer, les ruisseaus, la terre et le séjour, 
Le séjour, dis-je, o Prince, où tu finis ton jour. 

Ha Charles! ce séjour est ta royalle France! 
France en toy seul avoit mise son espérance ! 
Ne la dédaigne poinct! Jette souvent tes yeus 
Sur elle qui te nombre en la trouppe des dieus *. 

Charte, écoute nos chants, écoute nos prières ; 
If endure poinct cy bas les bandes meurtrières * ; 
Âppaise la Discorde, afin que te dieu Mars 
Jette auspiez de la Paix ses lances et ses dors. 



« Édition de 1005 : 
Sur elle qui te nombre entre ses semy»dieux 

« Édition de 1605 : 
Dissipe les desseins des brigades meurtrières, 
Et nous donne la paix, afin que le fier Mars 
Bstuye pour jamais ses lances et ses dars. 



C&lr 



VII 
EGLOGUE 

SUR LE tMES ME SUBJECT * 

t 

PEEROT, MOWtT, JANOT. 

Moret, trois jours y a qu'un foudroyant orage 
Groumelledans lescieus, troisjours que lenuage * 
Obscurcit la clarté du soleil radieus. 
Je ne scay pas que c'est : il semble que les dieus s 
Vueillent renverser tout, tant grande est la tempesle 
Qui depuis ce taras là menace nostre teste. 



i Dans l'édition de 1606, cette églogue est attribuée 
à la mort du cardinal Charles de Bourbon, et non 
pas à la mort de Charles IX, comme dans notre ma- 
nuscrit 

* Édition de 1606: 
Grommelle dans les deux, et troisjours qu'un nuage 
Ombrageusement triste enveloppe ce lieu. 

» Édition de 1606: 
Je ne scay pas que &est 9 mais il semble que Dieu 
VueiUe renverser tout, tant grande est la tempesU. 



-96- 

MORET. 

Mes cheveus hérisses de crainte et de fraieur 
Montrent bien, mon Perrol, qu'encor en ais-jepeur. 
Je ne scauroy dormir ; tousjours à mon oreille, 
Sonne teste tempeste à nulV autre pareille. 
Enten comme Aquilon horrible son soufler *, 
Comme de toutes parts Veau commence à s'enfler. 

PERROT. 

L'espace de six jours et voire davantage, 
J'entends sur ma maison un corbeau qui ramage 
Aussy hydeusemeul que le funèbre hibou 
Qui, nonce de la mort, hydeus, en quelque trou *, 
Parmy les liens déserts, sur un' heure importune », 
Vient estre avant-coureur de la triste fortune. 

MORET. 

Titire qui soûlait aus chams et aus forets * 
Chanter mille chansons pour les subtils attraits 



«Édition de 1605: 
Entends comme Aquilon horrible son souffler. 

' Édition de 1005 : 
Qui, nonce de la mort, caché dans quelque trou. 

» Édition de 1605 : 
Parmy lieux déserts sur une heure importune, 

* Édition de 1605: 
TbeopUil qui souloti aux champs et aux forests. 



Dont V avait appâté Janette, sa mignonne *, 
A présent se taist court èl pas un mot ne sonne. 
Il me dist Vautre jour qu'en menant son trouppeau, 
Dans ses mains se rompist son petit chalumeau. 
Depuis, il n'y a eu que malheur sur la terre ». 



Mais voy comme le Ciel mille flammes desserre 
Mille éclairs flamboians ; V orage, de nos yeus 
Derobbe tout à coup la lumière des cieus. 
Je croy que le soleil, dans la plaine sallée, 
Encor a eu sommeil la paupière sillée. 
Cela tesmoigne assez que grande est sa douleur 
Et qu'il doit icy-bas avenir du malheur. 



Le rossignol gentil qui, au touffu boccage, 
Degoisoil les fredons d'un naturel ramage *, 
Ne faictplus que se plaindre et, en cejoly mois, 
Remplisl Vair et les chams de sa plentive voix. 



* Édition de 1605 : 

Dont Vavoit appâté Sophie sa mignonne, 
A présent est tout triste et pas un mol ne sonne. 

* Édition de 1605 : 
Depuis il ne s'est veu, que maVheur sur la terre . 

» Édition de 1605 : 
Degoisoit les fredons de son gentil ramage. 



PERROT. 

Je rientenplus icy que des vieilles sorcières 
Qui, parmy V ombre espais de ces fortes bruières, 
Enchantent de leurs voix les serpens emaillez 
Et le trouppeau muet des poissons écaillez. 
Elles gastent les fleurs, les blez, les pâturages * ; 
EUes font rendre son au marbre et aus images. 

KORET. 

Le pescheur qui souloit, dans un fleuve écarté, 
Attirer en ses rets le poisson appâté, 
Et puis a la frescheur des cavernes moussues 
Raconter ses amours aus rivières bossues ' 
Maintenant est muet ainsi que le poisson 
Qu'il prenoit au filet de son traître hameçon. 

Mais je voy mon Janot sur ceste haute roche, 
Qui, blême et demi-mort, de noz trouppeaus s'approche. 
Comme il baisse les yeux, comme lents sont ses pas ! 
H semble avoir quitté toute sorte d' ébats. 



» Édition de 1605 : 
Elles font rendre son au marbre et aux images 
Et gastent par leur sort les bleds et les herbages. 

* Édition de 1605 : 
Raconter ses plaisirs aux rivières bossues, 



— ni - 

Mesmeil ne porto pku sa docte cornemuse * 
Il a lesté son chien et sa trouppe camuse. 
Alton parler à luy. Janot, mon cher amy, 
Où vas-tu ; mesme lorsque le ciel ennemy, 
Redoublant rnnup sur coup, vomit sur nous sa rage*? 
Peust-estre lu scais bien qui cause un tel orage ? 



Demandez vous, bergers, pourquoy le ciel troublé, 
Ja trois ou quatre fois ses coups a redoublé ? 
Pourquoy dedans ces chams toute chose soupire? 
Pourquoy Aquilon sou fie au lieu d'un doux Zéphire *? 
Cest aujouroVhuy le jour que la meurtrière mort 
Nous a ravyt Chariot, Chariot nostre support, 
Chariot, le grand pasteur, le mignon des Naiades, 
Des Faunes, dis Sylvains, des chastes Oreades, 
Chariot, qui tant prisait les jeunes patoureaus, 
Qu'il avoit sein de nous et de nos gras trouppeaus. 

MOftST. 

Chariot est mort, hélas I dure destinée! 
ciel trop inhumain! maudite journée! 

* Édition de 1605: 
Mesme il ne porte plus sa génie cornemuse* 

' Édition de 1605 : v 

Despité contre nous vomit sa triste rage? 
Peut estre que tu sçais d'où vient un tel orage? 

» Édition de 1605: . 
Pourquoy souffle Aquilon au lieu tfundous lepkyre? 



_ 102 — 

Mais, Janot, mon amy, dis nous la vérité h 

C'est peul-estre un faux bruit que l'on t'a rapporté. 



Il est comme je dis. Pan cy après ne daigne * . 
QEillader mon trouppeau et ma vache brehaigne, 
Que le foudre élancé de la voûte des cieus 
D'un sommeil éternel puisse clorre mes yeus, 
Que toujours j'aye au cueur un' ambre détresse 
Si en ce cas nouveau ma langue est menteresse J . 
L'espouventabU cry des enrouez hibous, 
Du Ciel et d Aquilon Veffroiable courrous, 
Et du grand Dieu d'en haut le foudroiant orage 
N'estait que de ce mal un très certain présage ». 



Ha, mon Dieu, quel malheur Savoir sitost perdu 
Celuy qui noz troWppeaus des loups a défendu t 



i Édition de 1605: 
Il est com&eje dis, Dieu cy après n y œillade 
Mes brebis ne mes boucs, ne ma vache malade. 

* Édition de 1605 : 
Si en ce piteux cas ma langue est menteresse. 

3 Édition de 1605 : 
Estoient de ce ma? heur un très certain présage. 



- 403 — 



Bergers, puisque le trait de la mort inhumaine 
Nous a ravy Chariot, que vos tuyaus d avoine 
De* la pointe du jour jusqu'au soleil couchant 
N'entonnent rien, sinon quelque funèbre chant. 
Chariot, les Uopars, les tigres d'Arménie, 
Les rochers porte-pins, les lions de Lybie, 
Les ombreuses forests et les antres moussus, 
La babillarde Echo et les fleuves bossus 
Pleureront ton départ, ta mort et ton absence, 
Car ils sentiront bien que vailloit ta présence * 

perrot. 

Comme la tendre vigne, aujoly renouveau, 
Laissant épandre en Vair son fueillage nouveau, 
Se faict le seul honneur de V ormeau qu'elle embrasse : 
Ou, comme le taureau donne beaucoup de grâce 
A un petit trouppeau, et la blonde moisson, 
Au champ qui estoit nu en la froide saison : 
Ainsy, Chariot, ainsy lu estais noslre gloire, 
De toy venait nostre heur : par ton moien, le Loire 
A regorgé de biens : mais puisque le destin 
Ta de ce monde osté, nous serons le butin 



* Ce vers ne se trouve pas dans l'édition de 4605. 



- 104 - 

La fraie des tirons qui rien n'ont en pensée * 
Que voir nostre maison contre bas renversée. 

XORET. 

Adieu donc tous esbats; adieu tous les plaisirs 
Qu'on trouvait dans les chams; les amoureus Zèphirt 
Ont quitté la campagne, et Pales la déesse * 
Na lessé, s'en allant, que douleur et détresse. 



Las ! on ne verra plus sur un roch bien pointu 
U Antre ombrageus et frais de mousse revestu. 
On n'oira plus des eaus le doux coulant murmure, 
Plus on ne dormira sur la tendre verdure! 
Dans les bois chevelus, les volages oiseaus 
Ne feront plus Y Amour entre les arbrisseaus. 
Les fillettes du Ciel, dans leurs voûtes cirées, 
Ne remporteront plus les fleurettes sucrées; 
Puisque le bon Chariot, qui estait nostre appuy, 
Mourant, n'a rien laissé qu'un éternel ennuy. 



1 Édition de 1606 : 
Laproye des brigands qui rien n'ont en pensée 

i Édition de 1605: 
Ont quitté lacampaigne, et la dame Liesse. 



105- 



Pauvres petits agneaus, qui paissez sous ma garde i, 
Vostre soutien est mort. H faut bien qu'on regarde • 
Que le loup affamé sortant à ceste fin 
De voslre tendre chair n'assouvisse sa faim, 

JANOT '. 

Plus ne verrez icy les dettes sacrées * 
Ainsy qu'elles souloient 9 s'egaier par lesprées; 
Des Nymphes le sainct chœur qui mignoioit sous Veau • 
Ses cheveus annelez, et, sur le renouveau, 



1 Dans l'édition de 1606, ce vers et les trois suivants 
terminent la pièce. 

2 Édition de 1605 : 

Vostre soustien est mort, désormais prenez garde. 

' Les vers qui suivent se trouvent, dans l'édition 
de 1606, avant : 

Pauvres petits agneaus, etc. 

* Édition de 1606 : 

Plus ne verrez icy les brigades sacrées. 

* Édition de 1606 : 

Ne des Mystes le cœur qui près de ce ruysseau 
Soubz la douce faveur du plaisant renouveau, 



— 106 - 

Au clair du beau croissant caroloit de mesure. 
S'enfuira loin d'icy : cette triste avanlure * . 
Leur fait haïr ces Meus; les chams seront desers, 
Héritage des tous, des tigres et des Gers. 
En mémoire de quoy, dune poignante alesne 
J'engraveray ces vers dans Vecorce dun chesne : 

Chariot, le grand berger, le favorit des dieus, 
Aiant bien peu vescu, au grand regret de France *, 
Trépassa dans ce champ . Les Nymphes aux beaus y eus 
Depuis, n'y ont voulu faire leur demeurante. 

Mais ja km voit au ciel paroilre les fiambeaus », 
El l'ombre redoublant des montagneus couppeaus 
Et de ceste grand tour quijusques au ciel touche 
Montre assez a nos yeus que le soleil se couche. 



« Édition de 1605 : 
Tous s'enfuyront dicy, ceste triste aventure 
Les fera départir, les champs seront déserts, 

1 Édition de £605 : 
Ayant trop peu vescu au grand regret de France, 
Oppressé de la mort abandonna ces lieux : 
Pastoureaux, regrettez a jamais son absence. 

* Édition de 1605: 
Mais sus, retirons nous, je voy venir la nuict, 
Et les astres brillans que la Lune conduict. 
L'ombre de ce chasteau, qui près de nous approche, 
Montre assez à noz yeux que le soleil se couche. 
Sus, deslogeons oVicy, car Chariot n'y est plus 
Pour défendre du loup nos esquadrons camus. 



— 107 — 

Sus, delogem d"icy : car Chariot n'y est plus 
Pour défendre du loup nos esquadrons camus. 



VIII 

LE PUIS DE SA1NCTE CECILE 



Le chant, moteur des cieus, dun accord inégal 
Charmant des dieus puissant et des hommes l'oreille, 
Ne doit soufrir sa force et douceur non pareille 
Servir à l'entretien de quelque amoureus bal. 

Le chant est don des dieus et n'en faudroit user 
Sinon pour entonner, au temple de Mémoire, 
Des Mânes bienlieureus les vertus et la gloire, 
Gloire qui doit le tams et loge devancer. 

Vous doncque, nourrissons du Dieu Patarean t, 
Qui, d'une douce voix, mignarde et mesurée, 
Sur le sourcy jumeau de la roche sacrée 
Attirez après vous le peuple Heclorean ; 



* Surnom d'Apollon. Un oracle de ce dieu était à 
Patare, ville de Lycie, où on l'adorait. 

4 # 



Laisse* les flèches d'or, la flamme et le carquois 
Du petit Archerot, laisses la mignardise 
Et les apas sucrez dune qui marlirise 
V astre cueur asservy aux amoureuses lois . 

Chantez saincte Cœcile et sa pudicité. 
Aussy bien maintenant les Muses Sicelides i 
Daignent bien se nommer déesses Cœcilides 
Car ellont dans ce puis leur séjour arresté . 



IX 

IMITATION 
'DES VERS 'D'HORACE 

Diffugere nives. . . etc. s 



Sous un Zephyre dous, au plus haut des montagnes, 
La nege se dissout, etja voit on ramer 



« Muses deSicile. Virgile a dit : Sicelides Musa. Notre 
poëte a cru évidemment faire un jeu de mots. 

s Horace, Odes, livre IV, Ode VI. Elle est adressée 
à Manlius Torquatus : 
Diffugere nives: redeunt jam gramina campis, etc. . • 



Le marchant qui reniraine ans humide campagnes 
Sa nef, pour trafiquer aus Isles de la mer. 

V agneau porte-toison abandonne Vestable, 
Le laboureur, le feu; aussy bien par les chams 
On ne voit plus Vhyver tristement effroiable 
Enfariner les prez et les vallons panchans. 

Venus meine la danse aus raions de la Lune, 
Et les trois belles Seurs la suivent de bien près, 
Les Nymphes aus beaus yeus s'i trouvent de Fortune 
Et ne font toute nuict que danser dans les prez, 

Pendant qu'au trou fumeus du roch enfante-flamme 
Le bon coquu Vulcan, jour et nuict travaillant, 
Souffle un charbon ardent, ou trampe quelque lame, 
Ou forge pour son père un foudre groumelant. 

Il faut donc maintenant, en saison si plaisante, 
Il faut se couronner d'un meurthe beau et verd 
Ou bien de quelque fleur heureusement naissante 
Sur le tapis à! un pré qui en soit tout couvert. 

Il faut, parmy Vespais des forests ombrageuses, 
Faire un beau sacrifice au chevre-piê Faunus : 
Soit qu'il vueille un petit des brigades laineuses, 
Soit qu'il vueille un chevreau qui court ausprez connus. 

La mort dont la puissance a pas un ne pardonne 
Egallement d'un pié frappe aussy tost les lieus 
Ou le marbre et l'argent abondamment foisonne 
Que la logeitc ou vit quelque homme souffreteus. 



— 110 — 

Sexte, mon amy, la briefveté de vie 
Défend a un chacun de faire grand projet ; 
Incontinent ton ame, hélas! sera ravie 
Au bourbier éVAchéron a qui tout est subjet . 

Quand lu seras la bas f pense, mon amy estre 
Ou Von ne joue poinct, où Von ne lire au sort 
Pour voir qui, au banquet des autres, sera mestre ; 
Mon amy, telz ébats se perdent par la mort. 



X 
AUTRE IMITATION 

sur l'ode: 

Bacchum in remotis carmina rupibus 
Vidi docentem, etc. * 



J'ay veu Bacchus au front cornu 
Dessus une roche écartée 
Enseigner maint chant inconnu 
En son eschole fréquentée 



i Horace, Odes, liv. H, Ode XVI. Bacchi laudes. 

Bacchum in remotis carmina rupibus 
Vidi docentem (crédite posteri), etc. . . 



— 111 — 

Des Nimphes et des dieus des bois 
Qui prêtaient V oreille a sa vois : 

Evoé,j'en tremble de peur, 
Mon ame, de ce Dieu remplie, 
Ensemble rit et a fraieur. 
Pardonne moy, o sainct Evie, 
Pardonne moy, dieu redouté, 
' Dieu qui tout le monde a douté. 

Or m'est-il permis de parler 
Des femmes et delà fontaine 
Ou le vin commence a couler : 
De celle qui de laict est pleine, 
Et du miel qu'on voit, en ces liens, 
Peu à peu choir des chesnes vieus. 

Or m' est-il permis de chanter 
La couronne de sa metresse * 
Et Penthé qu'il fil écarter * 
Par une mère vengeresse. 

1 Ariane. Bacchus mit dans le ciel une couronne 
d'étoiles qu'il lui avait donnée. 

' Penthée, fils et successeur d*Échion, roi de Thèbes, 
célèbre par l'opposition frénétique qu'il fit à Bacchus 
et à son culte. Le dieu usa en vain tous ses efforts. 
Penthée périt de la mort la plus affreuse, égorgé par 
sa mère Agave et ses deux tantes, qui, aveuglées par 
Bacchus, le mirent en lambeaux en le prenant pour 
un lion. Probablement il avait défendu rentrée de la 
vigne dans ses États et excité un soulèvement qui lui 
valut la mort. 



Lycurgue aussy qui fut puny » 
Pour Vavoir de Thrace banny, 

(Test toy, Bacchus, qui as donté 
Les torrens de la mer sattée, 
Qui lie en un roch écarté 
La chevelure tortillée 
De tes prêtreses, dont le crin 
S> horrible d'un nœu serpentin. 

Toy mesme, quand les Géant forts 
Au ciel dressèrent leur eschelle; 
A force tu chassas dehors 
Rœcus, et sa trouppe rébelle *. 
Aussy avais-tu, pour ce fait, 
La peau d'un grand lion desfait. 
Combien que lu semblois meilleur 
Aus danses que non point aus armes, 
Si acquis-tu au ciel Vhonneur 
De n'estre point loche aus alarmes, 
Ne moins propre aussy quand la paix 
A de Mars etuyé les traits. 

Cerbère, chien des lieus d'en bas, 
Vit ton front a la beUe corne ; 
Sitost que le chien sent tes pas, 
Tout soudain devers toy se tome 



i Lycurgue, roi de Thrace, croyant couper les 
vignes, tua son ûls et se coupa les jambes, 
* Géant tué par Bacchus. 



Déplus près testant approché, 
Tes pie* de sa langue a léché. 



XI 

SONNET 
TRIÈRE Q4U VENT 



Aquilon, chasse-nue, Iwrreur de la ScythU, 
Dont le moindre soufler renverse contre bas 
D'un navire puissant les voiles et les mdls, 
Et des chasteaus dorez la plus haute partie. 

Pour un peu, Aquilon, soit ta force amortie 
(Test V heure de dormir; vaprendre tes ébats, 
Retourne en ton palais, et dors entre les bras, 
Entre les bras aimez de la belle Orithie. 

Va, mon cher Aquilon, favorise mou tant: 
Si je ne suis trompé, lu dois estre contant 
Que depuis quatre jours icy haut tu te loge? 

Si tu ne veus cesser, assaille un autre lieu, 
Ce ne sera jamais honneur a un grand Dieu 
ïï avoir renversé bas une si faible loge. 



-114- 

XII 
L'AGE D'OR 



•-v uand icy-bas le bon Père Saturne. 
\J Tenait la terre et les eaus de Neptune, 
Le laboureur ne cultivoit les chams 
D'un soc aigu : car sans coutres tranchons 
L'épy doré, la vigne non taillée 
Se meurissoil au bas d'une vallée. 
Le long ruisseau, d'un coûts argentelet, 
Faiser rider la blancheur de son laict. 
Sans peur des rois ou des Uns rigoureuses 
Chacun suivait les vertus généreuses. 
Von n'avait lors, pour courir sur la mer, 
Cié le pin. La ville, sans fermer, 
Ne craignait point les subites alarmes : 
Car le cousteau, la salade et les armes, 
Et les fosses étaient hors de saison. 
Chacun, content de sa propre maison, 
Passait en paix le reste de son âge. 
Mesme le champ, exent du labourage, 
N avait le sein par le soc detranché. 
Vor n' estait poinct des hommes recherché; 
Cliacun, content des herbes rencontrées, 
Sans travailler, aus plaines bienheurées 



- 115 — 

Cueillait pour soy le beau fruit des fraisiers, 
Ce qu'apportaient les après arboisiers, 
Le corneillier et la plante ancienne 
QueJuppiler reconnaissait pour sienne. 
Les dous Zephirs plaisamment evantaient 
Les blanches fleurs qui, sans graine, naissaient. 
D'un chesne mol dégoûtait sans contrainte 
Le miel sucré que l'homme, exent de crainte, 
Mangeait aus bois, ne sentant en son cueur 
D'un soin amer la venimeuse aigreur. 



XIII 

LA BIENVENUE D'HENRI III 

ROY DE FRANCE ET DE POLOIGNE * 
LA FRANCS PAftLE. 

Heureus, trois fois le jour, heureuse la lumière 
Du clair-voyant soleil qui, de l'eau marinière, 



* Quelques mois après la prise de possession du 
royaume de Pologne, ce prince, ayant appris la nou- 
velle de la mort de Charles IX, son frère» partit 



- M6- 

Betira ses chevaus eclarcissant les cieus 
Pour a son aise voir le clver mignon des dieu* 
Retourner triomphant des terres ou la glace 
Plus des deux parts de Van se voit dessus la place. 



secrètement de Pologne, revintenFrance par l'Autriche 
et par Venise et fut sacré et couronné à Reims par 
Louis, cardinal de Guise, le 1S février 1575, à pareil 
jour qu'il avait été couronné roi de Pologne. 

Dans un article sur Claude de Morenne, publié dans 
les Archives du Bibliophile ,du mois d'août 1862, nous 
lisons que cette pièce se trouve dans le volume des 
Poésies de de Morenne, Imprimé à Paris en 1605, chez 
Bertault. Nous avons eu ce volume entre les mains, et 
cette pièce ne s'y trouve pas. On a dit qu'elle avait 
également servi à chanter le couronnement d'Henri IV . 
Si elle a servi pour cette cérémonie , elle peut avoir 
été publiée, en 1595, dans l'opuscule que nous citons 
dans la préface, mais que nous n'avons pu découvrir 
ni à la Bibliothèque Impériale, ni ailleurs. Ce que 
nous affirmons, c'est qu'elle ne se trouve pas dans 
le volume de 1605. Nous croyons, du reste, que plu- 
sieurs autres erreurs se sont glissées dans cet article, 
si spirituel au reste et si bien pensé. Dans tous les 
cas, comme cette pièce aurait nécessairement reçu des 
modifications pour être appliquée au couronnement 
d'Henri IV, nous croyons intéressant de la publier 
telle qu'elle se trouve dans le manuscrit 



— 117 — 

Sus doneque, mes enfans, foules dun pié gaillard 
La fleur naissante au bord d'un ruisseau babillard. 
Qu'au retour désiré Sun si beUiqueus prince 
On voye en doux esbals se tourner la province ; 
Encor tousjours l'hyver aus cheveus argentés 
Ne tond les arbrisseaus: et les vents dépitez 
Ne détachent tousjours leur colère enragée 
Sur les replis voulez de la grand mer Aegée . 
Après les vents hydeus et V orage des eaus, 
De mille belles fleurs s' entaillent les rameaus: 
Et, sous un beau serain, de toutes parts, la terre 
De son sein plantureus la verdure desserre, 
Tellement qu'on ne voit, dessous les cieus ardans, 
Rien qui ne preigne fin par la course des ans. 
Aussy en ce beau jour, toy, peuple que Fortune 
Jalouse, tant de fois a comblé d'infortune, 
Qui, frappant ta poitrine, et regardant les cieus, 
Faisois couler a bas un fleuve de tes yeux, 
Metz fin a tes douleurs, et, sautelant de joie? 
Recoy celuy que Dieu à la France renvoyé. v 

(Test luy, peuple, c'est luy, qui, nourrissant son cueur 
Du louable désir d'un immortel honneur, 
Ombragera son front de mille branches vertes 
Aiant de tout ce Rond les terres découvertes, 
Ou, selon le destin, mille et mille citez 
Par force serviront aus François indoniez. 

Ceux qu' œillade Phebus dune flamme nouvelle 
Embelissant Vazur de la voûte immortelle, 



- 118- 

El ceux où, vers le soir, il ferme son bel œil, 
Sous les pavois sorciers d'un paresseus sommeil; 
Cens que V Ourse regarde, el qui leur soif étanchent 
Des eaus qui, par la Dace, abondamment s'épanchent; 
Cens que va bien heuranl le fleuve impelueus 
Qui pousse par sepl huis ses re flots torlueus ; 
Ces peuples surmontez par le fer de sa lance, 
Se tiendront bienheureus d'estre adjoints à la France, 
Et voir que leur vainqueur ses terres accroissant 
D'un Iveur coulé des cieus remplisse le Croissant. 

Et comme on vit jadis le monarque Alexandre, 
. Alors qu'un poil doré commençait à s'étandre 
Sur Vyvoirepoly de son visage blanc, 
Prendre la lance au poing et se ceindre le flanc 
&un glaive qui devoit, de sa pointe dentée, 
Enjoncher d'ennemis la plaine ensanglantée ; 
Ainsi, noslre Alexandre et noslre Hector François, 
Ne démentant en rien la race des Valois, 
En VApvril de ses ans, en sa tendre jeunesse, 
Doit aller conquesler, d'une pronle akgresse, 
Les pays estrangers qui seront trop heureus 
D'avoir pour leur vainqueur un roy si gêner eus. 
Le Mosch enflé d'orgueil el l'infâme Tartare, 
Dépouillé qu'ils auront leur cruauté barbare^ 
D'eus mesmes, quelque jour, luy courberont le chef 
Ou sur eux aviendra quelque eslrange mèche f. 
Comme le vent qui soufle au milieu d'un boccage 
Pardonne à l'arbrisseau qui ployé son fueitlage 
Et, d'un effort horrible, enlevé jusqu'aus cieus 
D'un chesne grand et fort le branchage noueus : 



- 119 — 

Le bois en retentit, et des rives bruiantes 
Tressaillent tout d'un coup les plaines ondulantes, 
Ainsy V humble pays aura toute faveur 
Et telle qu'il voudra de son noble vainqueur. 
Mais du traistre obstiné la brigade méchante 
Sentira de combien sa colère est pesante. 

Il m'est advis desja que cent mille soudars 
Font aus ventz ondoier leurs riches estandars. 
Le canon élançant son ensouffré tonnerre 
Fait trembler le rivage et la voisine terre. 
Une noire vapeur derobbe de nos yeux 
Le jour et le soleil recellé dans les cieus; 
Dessous le brave effort oVun effrayant alarme, 
Le gendarme échauffé se présente au gendarme, 
Mettant pié contre pié, cheval contre cheval, 
Boulet contre boulet, travail contre travail. 

Or, comme le dieu Mars, dans la guerrière Thrace, 
Ebranlant son bouclier d'un' effroiable audace, 
Débride ses chevaus qui, légers comme vaut, 
S'élancent dans la plaine où le soldat suant, 
Au pris de tout son sang, une victoire achette, 
La Fraude tromperesse et l'Ire qui se jette 
Parmy les escadrons, compagnes du dieu Mars, 
Font reprendre courage aus trouppes des soudars : 
Ainsi ce prince, armé de flamboiantes armes, 
S' élançant au milieu des ennemis gensdarmes, 
Doit faire, sous les pies de ses légers chevaus, 
Trembler toute la plaine au plus fort des assaus. 

5 



- MO- 
Le faucheur altéré, dune faux dentelée, 
Ne renverse, en esté, dans la plaine brûlée, 
Tant de jaunes moissons gui cheenl contre-bas, 
Que <£ ennemis seront délivrez au trespas 
Par le tranchant aigu de sa vaillante espée, 
Dans le sang, des mutins mille fois délrampée. 
Quelque part qu'il ira, d'un chacun redouté 
Pour sa force guerrière et son cueur indonté, 
Le camp luy fera place et, se tournant arrière, 
Craindra les coups mortels de sa lance guerrière 
Plus qu'on ne craint le loup qui, aspre et ravissant, 
Se rue dans Vespais d'un trouppeau frémissant, 
Ou le lion cruel qui brosse de furie 
Les desers perilleus de la sèche Lybie, 
Pour enfin renverser son ennemy meurdry; 
Tel au combat sera le magnanime Henry! 

Muses, qui prodiguez a vos mignons la grâce 

De suivre, en escrivant, des viens pestes la trace, 

Que n'avez vous remply ma bouche de cesVeau 

Qui acouche ses flots sur le double couppeaut 

El toy, fils de Latone a la tresse dorée, 

Que ne m , a$4u donné ta guiterre sacrée 

Pour planter dans les cieus, par un rare sçavoir, 

Les plus grandes vertus qu'un homme puisse avoir, 

Justice et piété, dont la source féconde 

Se nourrit dans le cueur du plus grand roy du monde . 

Si lu m'eusse, Apollon, de tant favorisé, 

Je l'eusse tellement en mes carmes prisé, 

Qu'un jour on eust ouy, depuis le flot du Loirs 

Jusqu'au NU limoneus, le renom et la gloire 



- 4M - 

Qu'il acquiert par sa force et sa saints Equité, 
Et toutes fois, en$or que mon vers mal chanté 
Ne soit outil idoine a graver sa louange, 
Si est-ce que, forçant Nature qui m'ettrange 
Du verger dWelicon, brusquement j'ourdiray 
Un vers qu'à mon pouvoir par luy je finir ay. 

Aussy, avec le laiet, quelque fière lionne 
M' aurait au cueur versé la cruauté félonne, 
Et dedans l'estomac, au lieu d'un cueur de chair, 
On diroit que j'aurois la durté d'un rocher, 
Si je riaymoisee Roy queja l'honneur enflamme 
Devoir vangé du feu le chasteau de Pergame, 
Et qui, après avoir, iïune vaillante main, 
Renversé le pays du barbare inhumain 
Qui, plus que son honneur, eherissoit la discordé, 
Doit joindre ce grand Tout du lien de Concorde, 
Et, déferrant nos cueurs, rappeler la vertu, 
Qui, reyne, bannira le vice combatu. 

Ha, tutrice des Rois, tu nous viendras apprendre 
Que, pour justement croire, il faut le chemin prendre 
Qui les hommes conduit à la félicité. 
Qu'il faut fuir procès, querelle^ iniquité; 
Avoir emprainte au cueur la loy sainte et humaine 
Pour l'amour de vertu non pour fuir la peine ; 
Qu'il ne faut avoir soin de l'or ny de l'argent, 
Et pour quelque beau don condamner l'innocent. 
Toujours est danger eus le péché d'Avarice 
Qui entretient le monde en sa vieille malice. 



— 122 - 

Ores quand la vertu aura, pour un jamais, 

Jcy bas asseuré sa demeure aus palais 

Des Roys et grans seigneurs, la sanglante BeUonne, 

Et Marsporte-boucler, d'une rage félonne, 

Ne pourront cy après rompre ou bouleverser 

Les tours et les chasteaus qu'ils voudroient renverser; 

On ne verra jamais untrouppeau de gens-darmes 

Au sang de V ennemi faire baigner ses armes, 

Et la Seine et le Loir ne verront en leurs eaus 

Couler de nostre sang les empourprez ruisseaus. 

Dedans le morion, selon la destinée, 

Y puisse ourdir ses reths la sogneuse araignée. 

Dans le cueurdun chacun séjourne la pitié, 

La bonté, la douceur, la foy et V Amitié. 

Qu'on puisse voir plutosl la mer pleine détailles, 

La forest de poissons, et l'Olympe de voiles, 

Que noz soldats vaillans trainei en Meus divers, 

Rallumer la discorde; et, troublons l'Univers, 

Faire dessus leurs dos craqueter la cuirasse. 

Un' éternelle paix doit confiner en Thrace 

Le dieu qui, par fiambeaus et par glaives tranchons, 

EgaUe les citez et les palais au* chams. 

On verra lors aus bois et aus vergers de France 
Les Nimphes a l'œil brun planter leur demeurance, 
Et le gaypatoureau seurement approcher 
L'ombrage noir-espais dun boccageus rocher. 

que vueiUent les dieus jusqu'en cest heur eus âge 
Ne me faire éprouver des trois Parques la raget 



- 123 - 

Et me donner autant de graceetdescavoir 
Qu'il faudra pour vanter sa force et son pouvoir ! 
Le charmeur Tracienet Une, grand poète, 
Pourraient bien lors quitter, au son de ma trompette, 
Axant (f un feu divin te courage échauffé, 
Et voiant ce grand roy qui aura trionphé 
Du Mosch audacieus et du Scythe rebelle, 
finvoqueray le nom de la Muse immortelle, 
Afin de luy bastirun plus riche tombeau 
Que ne fit Artémise, en son tourment nouveau, 
Au Mausole inhumé, tombeau qui onc en poudre 
N'aura peur de se voir par vieillesse dissoudre. 

Cependant que le ciel et la terre et les eaus, 
Les rives, les rochers, les arbres, les oiseaus, 
Témoignent nostrejoie, et que le beau rivage 
Ait le sein bigarré à?un verdoient fleurage ; 
Queles trouppeaus aVHybla, les manchettes a miel 
Se paissent a Ions trais de la sueur du ciel, 
Que Zephire baisant, d'une bouche gloutonne, 
Les couraus jumelets de Flore, sa mignonne, 
Face rire les ehams et acroitre les jours 
Pour mieus entretenir le jeu de ses amours. 
Que du ciel azuré s'écoule, goutte à goutte, 
ta manne Hymettienne, ainsi qu'elle dégoutte 
Aus petits pavillons des mouches pille-fleurs. 
Qu'un nuage, engrossé àVffybleannes douceurs, 
Face icy-bas espandre un fleuve deau musquée; 
Que de l'Aube aus beaus doigts, la flamme perruquée, 
Sans rouille, a cejour&huy soit dans le cielserain, 
Le Soleil attellant ses chevaus pié iï airain. 



Avance, bette Nymphe, avance ta carrière, 

Et, chassant devant toy V argentine lumière 

Du Croissant qui versoit sur nozyeus le sommeil, 

Laisse reluire auscieus le rayon de ion ail; 

Non pour voir dans les bois ton malheureus Csphale ' 

Soupirer pour la mort de sonespousepalle, 

Mais pour voir nostre Boy, le seul mignon des dUus, 

En quis'est escoulé tout le plus beau des cieus. 



XIV 
LE CHANT DES NYMPHES 



Comme la Lune pallissante, 
Du beau de sa clarté naissante 
Fait hontoier dedans les cieus 

Mills feus, 
Qui n'apparaissent auprès (Pelle, 
Tant sa lumière est grande et belle, 
Non plus que fait un vallon bas 
Auprès du rocher dont la crouppe 
Servist oVeschelle a ceste trouppe 
Qui dressa vers les cieus ses pas; 



— 125 - 

Ainty nostre roy magnanime, 
Que Mars heureusement anime, 
Eteint de ses prédécesseurs 

Les honneurs. 
Et, gaignant des siens le courage, 
Se montre si bénin et sage, 
Que, pour sa vertu et sa fby, 
Uestranger ardemment désire 
Entre tous autres, de Velire 
Pour estre subjets a sa loy. 
Donc, soit que le grand œil du monde, 
Retirant ses chevaus de Vonde, 
Espanche une moisson $ œillet z 

Vermeilletz, 
Ou bien, soit qu'haletant, il touche 
Le bord des eaus où il se couche, 
Si ne voit il qu'en V Univers 
Un plus grand roy porte-couronne, 
Si ne voit il lieu qui fleuronne 
Plus que la France en lauriers vers. 

C'est luy qui, sur ces belles rives, 
Faicl sauteler nos ondes vives, 
Qui, sous la douceur du Printams, 

Dans les chams, 
Fait naître la fleur aiglantine : 
Et, dessous la source argentine 
Des eaus, permet que le poisson, 
Des fleuves la muette trouppe, 
En liberté dehache et couppe 
De Thelis l'humide maison. 



.— ii» - 

En faveur de luy chaque année, 
L'arondeUe estant retournée, 
Nous immolerons en ces lieus, 

Aus grans Dieus, 
Un bœuf à la corne dorée. 
Du matin jusqu'à la serée, 
Ce jour là, le pâtre dansant 
Dessus Vherbette verte nette, 
Les faicts Sun prince tant honeste 
En chansons ira redisant. 



— 127 — 

XV 
SOUHAITS 

POUR HENRY DE LA CHASTRE 
SEIGNEUR DE NANÇAY 4 

LES TROIS GRACES CHANTENT ENSEMBLE. 

Célestes Deitex qui gouvernez le monde, 
Accordez noz souhaits et comblez dé bon heur 
Ce petit nourrisson; ennoblissez son cueur, 
Et faites qu'en tous biens un si cher filz abonde. 

PASITÉE. 

Je veus en mes souhaits que la royalle France, 
Par sa rare vertu puisse florir encor 
Et, sous son bras vainqueur, acroitre sa puissance 
Jusqu'au Gange qui faict jaunir sa rive <f or . 



* Fils de Gaspard de La Cbastre, qui devint plus 
tard maréchal des camps et armées du Roi , bailli et 
capitaine du château de Gien, etc., etc. 



_ «8- 

THALIX. 

Je veus que tout le peuple, esbahy de sa grâce, 
D'un mutuel accord remercie les Dieus 
Pour luy avoir donné encor de ceste race 
Un seigneur débonnaire, accort et gratieus. 

EUPHROSYNE. 

Je souhaite qu'Amour garny d'arc et de flèches 
Se loge pour jamais sur son front etoillé, 
Que sortent de ses yeus mille vives flammèches, 
Pour attirer a soy le peuple esmerveillé. 



Célestes Deitez qui gouvernez le mondé, 
Accordez noz souhaits et comblez de bon heur 
Ce petit nourrisson; ennoblissez son cueur 
Et faites qu'en tous biens un si cher fllz abonde. 

PAS1TÉE. 

Comme le vert rameau, issu de la racine, 
Croit sous les bras ombreus de V arbre dont il sort, 
Ainsi, sous l'astre doux de ta mère benine, 
Puisse quand et le cueur ton corps se rendre fort. 

THALIE. 

France, aime cest enfant qui en espoir surpasse 
Tout ce qu'on en peut dire, et qui est destiné 
Pou estre un jour vainqueur de mainte forte place; 
Ainsy l'a le trouppeau des Parques ordonné. 



- 1»- 

EVPHftOtYNE. 

Puisse il pour un jamais éviter la vieillesse, 
Toujours son doux maintien, son propos gratieus 
Ressente le prinlams d f une blonde jeunesse, 
Axant mil doux attraits au rayon de ses y eus. 

ENSEMBLE. 

Célestes Dettes qui gouvernez le monde, 
Accordez noz souhaits et comblez de bon heur 
Ce petit nourrisson; ennoblissez son cueur, 
Et faites qu'en tous biens un si cher filz abonde. 

PASITEE. 

Que de tes lèvres dor, Henry, coule sans cesse, 
El le sucre et le miel, afin que les propos 
Puissent charmer les cueurs dune couronne espesse 
Qui doit en écoulant te suivre sans repos. 

TALIE. 

Comme la fleur d Amour, la rose blanchissante, 
Passe toute verdure en grâce et en beauté, 
Ainsy tout autre beau et grâce bienséante 
Par celle dùn Henry puisse eslre surmonté ! 

EUPHftOSrNE. 

Sur son front gratieus pour jamais apparaisse 
D'un fils donné des cieus la grave majesté. 
Chacun, en le voiant, incontinent connaisse 
Son courage inveincu remply d'humanité. 



— 130 — 



ENSBMBLB. 



Célestes Deitez qui gouvernez le monde, 
Accordez noz souhaits, etc. 



XVI 
EGLOGUE 

04 MONSEIGNEUR LE DUC DE JOYEUSE 
SOUS LA PERSONNE DE DAMON 

JANOT, MORET, TITIRE. 



Gentils trouppeaus, cependant que Nature 
Remplist les chants de fleurs et de verdure, 
Paissez, paissez, et gayes à ce coup 
Ne craignez plus la cruauté du loup. 
Mon cher Damon, traversant ceste prie, 
De telle peste a purgé la contrée. 



-131 -' 



MOUT. 

Gentils trouppeaus, dans ce champ tapissé, 
Broutez le thim et le treffle entassé. 
Vous ne scauriez, mignardes camusettes, 
Dans ces patis tant prendre de fleurettes 
Qu'en brief V humeur de la moiteuse nuit 
Autant ou plus pour vous n'en ayt produit. 

JAHOT. 

Mais, mon Moret, puisque le tams convié 
Les patoureaus a une douce vie, 
A l'ombre frais des arbres forestiers 
Ou sous Vabry des espineus rosiers, 
Enflons, Janot, enflons la chalemie 
Qui pend au croc, desja toute rrwisie. 
-Car tout le tams que le soldat mutin 
Enrichissoit sa maison de butin; 
Que la discorde, entre nous allumée, 
Désirait voir la France consommée, 
Qui a osé, parmy ces chams icy, 
D'une chanson alléger son soucy. 
Mais or qu'on voit et aus chams et aus villes 
Eteint le feu des discordes civiles, 
Et qu'a présent le Lion au poil rous 
Contre Vaigneau n'enfle plus son courrous, 
Moret, dressons nostre chant amiable 
Devers celuy qui nous est favorable. 



- 1M - 



MORET. 



Combien de foisj'ay désiré mourir 

Quand je voioy tant de soldats courir, 

Pillons noz biens, las ! sans oser nous plaindre, 

Mettant le feu, las! sans Voser éteindre ! 

Ha que de maus l'Ambition apporte! 

Mais que nous sert d'ouvrir au dueil la porte? 

Laissons le mal comme il est envielly 

Pour un jamais sous terre ensepvely. 

Mieus vaut, Janot, dessous cet aubespine, 

Ou de ces hous l'ombrageuse crespine, 

Chanter la grâce et la vive beauté 

Qui est aus y eus de la belle Amalthé! 

Et pour celuy qui aura la victoire 

J'offre un goblet que, près le bord de Loire, 

Me fit Thomet, Thomel, ce grand chevrier, 

Des artisans le plus parfait ouvrier. 

Un beau trouppeau de Nymphe' aus tresses blondes 

S'y trouve peint, qui lave dans les ondes 

Le tendre corps du petit Cuisse-né. 

Voy comme il a tout le chef couronné 

D'un pampre verd et d'un espais lierre, 

Pente, forcené et bouillant de colère, 

Veut empescher qu'il ne soit respecté 

Comme estant plein de la divinité. 

Mais vous voyez, a costé, les prêtresses 

Le démembrer de leurs mains vengeresses. 



- 133 - 

Icy le lin, la t&ik et l'instrument 
Propre a filer, estrange changement, 
Se transfigure en lierre qui, polie, 
Couvre le bord d'une rampure egalle. 
En souris chauve on voit le cors changé 
Des filles dont ce grand Dieu s f est vangé. 

Au ventre creus de la tasse profonde 
Est une Nymphe a la perruque blonde 
Qui prend plaisir a voir le vigneron 
Faire vendange, et, tout à Venviron, 
Or calfeutrer avec un peu iïetouppes 
Les bondons frais, et ore dans les couppes, 
Sur le disner verser du vin nouveau 
Qui boult encor au fond de son tonneau. 

Homme vivant n'y a jamais peu boire, 
Si Vaura$4u remportant la victoire. 

JAKOT. 

Pour ton goblet, je gage mon Blaqueau, 
Blaqueau, mon chien qui conduit le trouppeau, 
Et au logis tout au soir le rameine, 
Aussy hardy qu'un brave capitaine. 
Quand devant soy il voit cinq ou six tous, 
De son collier tout hérissé de clous 
H les combat et veut perdre la vie 
Si des brebis une seuUe est ravie. 
Souvent le loup, qui se cuide approcher, 
Se sent surpris au plus haut du rocher: 



— 134 — 

Dedans le sang toute sa gueule ondou, 
Joyeus iïavoir uns si chère proye. 
Je Vayme bien : tu V auras Umtesfois 
Si miens que moy tu peus a cette fois, 
Sur les pertuis oVune flûte inigalle, 
En bien chantant imiter la cigalle. 
Mais qui pourrait bien dire sans faveur 
Qui de nous deuxremporlera Vhormeurf 

MOUT. 

Jevoy de loing Titire qui fait paistre 
Ses gras trouppeaus; a chanter il est maistre, 
Et, qui est plus, j'ose bien tesmoigner 
Qu'il ne voudroit son amy espar gner 
Si pour le moins sa cause estait inique. 
Avançons-nous. Le grand Dieu Arcadique 
Ayt soin de toy et de tes gras trouppeaus! 
Janot et moy, raffutansnos pipeaus, 
Délibérons tout ce jour nous ébattre 
Sur noz amours et, paisibles, combattre 
A qui pourra tfun accord plus entier 
Remanier des Muses le mestier. 



Gentils bergers, mon cueur tressant de joie 
Quand je vous voy, dans ce bois qui verdoyé. 
Avoir soucy du mestier oV Apollon. 
Asseyex-vous; faites respondre Echon 
Aus nombres doux de vostre chalwnelle. 
Icy le pré, de sa tendre mamelle, 



— 136 - 

Nourrit les fleurs sous V ombre des ormeaus ; 
Iey de verd se parent les rameau* ; 
Au pié du roch qui fièrement menace 
Les eieus voisins, une fontaine jaze, 
Dont le bord plein de mille et mille fleurs 
Son sein bigarre en autant de couleurs. 

Chantez, bergers, de Damon la prouesse, 
Damon, V honneur de toute la noblesse. 
C'est luy qui fait qu'aux gazouillis des eaus, 
Au doux jargon des babillars oyseaus, 
Paisiblement ans bois et ans fleurettes 
Contez le jour vos tendres amourettes. 
Donc Sun beau chant qui charme tout regret, 
Janol commence et puis après Moret, 
Suivant le fil de la douce dispute, 
Accordera les discors de sa flûte; 
Et, cependant, Menalque gardera 
Voz gras trouppeaus qu'aus chams il conduira. 



Tout est remply du nom de JuppUer, 
Il est aus bois, il est ans vertes plaines, 
Aus cieus, en Voir, aus taHUs, aus fontaines, 
Et daigne bien ma prière escouter. 

jfourr. 

Le Chœur Neuvain, en la verte saison, 
Ayant toujours les Nymphes pour compagnes, 
A eu le seing de venir aus campagnes 
Ouir l 'accord de ma douce chanson. 



-136- 



JANOT. 



Nais-jepasveu les Satyres sauter 
Au son gaillard de ma docte musette, 
Et par les chams ma trouppe eamusette 
Auprès de moy muette s'arresterf 



Au point du jour, aumidy et au soir, 
Je fay danser les Nimphettes mignardes, 
Et des Sylvains les bandes trépignantes 
Sous le pipeau que j'enfle a mon vouloir. 

JÀHOT. 

Que les reflots du Loire au ckefgrison, 
D'un bruit jazard incessamment redisent 
Aus chams herbus, aus arbres qui fleurissent 
Combien aimé des bergers est Damon. 



Gentils oiseaus, ne chantez rien aus bois 
Que d'un Damon la divine Nature, 
Et toy, Zephire, evantant la verdure, 
Pour Damon seul accommode ta voit. 

JANOT. 

Nymphes, si onc au son d'un chalumeau 
Dedans ces prêt j'ai guidé vostre danse, 
Pour luy, qui est nostre seuUe espérance, 
Cueillez de fleurs un thresor riche et beau. 



— 137 — 



Desja Nais a, dedans ce vallon, 
Mille fleurs pris qu'ans Nymphes elV envoyé 
Pour les lier tfun petit fil de soye 
Comme je croy tout se fait pour Damon. 

JANOT. 

Ou va courir mon grand bouc adiré 
Laissant ainsy mes poures brebiettest 
Si je vay là! doncque ses amourettes 
Vont eu tantost de ce lieu retiré. 

moret. 

Garde, mon chien, garde bien que le loup, 
Sortant du bois tout eschauffé de rage, 
A mes brebis ne face quelque outrage. 
Donc surveillant prens y garde a ce coup. 

JAlfOTi 

Qu'en la faveur de Damon, le berger, 
On puisse voir les forets chevelues 
Befrixoter leurs tresses crespelues 
S'il veut venir avec nous se loger. 

MORET. 

Dedans ces prez qu'on voye les ruisseaus 
Blanchir de lait, et, du haut d'une roche, 
Couler le miel, puisque Damon s'approche 
Du faible tect des pauvres patoureaus. 



- 138- 

JANOT. 

Vien donc, mon Pan, vien loger avec nous. 
Toujours icy le patour eau sommeille 
Sur les gazons de f herbe qui s'emeille ; 
Toujours icy nous avons le miel roux. 



Hante, Pallas, tes villes si lu veus; 
Quant est de moyj'ay surtout agréable 
Le champ herbu et l'horreur amiable 
D'un bois frisant le verd de ses cheveu*. 

JANOT. 

Icy Diane et ses divines seurs 
Chassent le cerf et la biche légère; 
Icy, au soir, mainte belle bergère 
En carolant foule remail des fleurs. 

JfOKBT. 

L'enfant Troien,' Paris le damoiseau, 
Le beau Narcis a la lèvre dorée, 
Et mesme Adon, Vame de Citherée, 
A eu cy-bas le nom de patour eau. 

JANOT. 

Chauve le bois ne puisse devenir, 
Mais au contraire avoir un beau fueiUage, 
Pour refrechir, a son espais ombrage, 
Nostre Damon, s'il vouloit y venir. 



- 139 - 



En sa faveur Bacchus, axant pitié 
Du vigneron, remplisse mainte tonne ; 
Et que le fruit, en la saison d'Automne, 
A sa venue augmente de moitié. 



Pommone puisse ensaffraner ses fruits 
Et en remplir du laboureur la grange, 
En mesme tamps, dune riche vendange 
Puisse Damon faire eseumer ses muis. 

mobet. 

Puisse il avoir arbres plains de douceurs 
Dont le beau fruit heureusement meurisse, 
Et, meurissant, d'aussy fin or jaunisse 
Que les pommiers des Hesperides Seurs. 



C*est un plaisir que tfouïr la cigalle 
Au mois & Avril, et la musique égalle 
D'un rossignol, qui, parmy les ormeaus, 
Sepleint du feu des amoureus flambeaus; 
Bien doux le bruit et le caquet de l'onde, 
Et la chanson d'Amarylle la blonde; 
Mais ce n'est rien au parangon du chant 
Dont avez fait retentir ce beau champ. 



— 140- 

Chacun de vous, de sa flûte accordée, 
Peut arrester la vague débordée 
Des grandes eaus et les rocs émouvoir. 
Soyez amis et à vostre pouvoir, 
Faites redire aus forests ombrageuses, 
Aus chams fleuris, aus roches sourcilleuses, 
Le sainct renom de cil qui a donté 
Des tous fuiars le trouppeau écarté. 

Or toy, Moret, puisqu'un Vautre ne passe, 
Pren moy 1$ chien; Janot aura la tasse. 
Sus, levons nous ; V ombrage trop espais, 
Le plus souvent, aus chantres est mauvais; 
L'ombre odorant du genièvre sauvage 
Nuire nous peut, aussy bien qu'au fruitage. 
Allez, trouppeaus, allez a la maison 
Et Rapportez du laitage a foison. 



t 



— 141 — 

XVII 
SONNET 

SUR LA €MORT DE ODET TURNÈBE 

>~v uand le père des dieus, contre nous dépité, 
\J Commande qu'Aleclon aus tresses serpentines 
Pareilles et citez, contre sa loy mutines *, 
Face craquer son fouet, de meurtre ensanglanté, 

On voit qu'un peu devant, tant grande est sa bonté, 
Il emporte les bons et leurs âmes divines l , 
Laissant en ce bas lieu celles qui, trop matines, 
Sentiront la rigueur de sa sévérité. 



* Ce sonnet a servi à déplorer la mort de deux per- 
sonnes. Dans l'édition de 1605, de Morenne pleure, 
dans ces vers, la perte de Jacques Mangot, mort en 
1587; dans le manuscrit, celle de Turnèbe. Ce Jacques 
Mangot était avocat au Parlement. L'Etoile, dans ses 
Mémoires, dit qu'il mourut le 9 juillet 1587 et ajoute 
qu'il fut nommé la perle du palais à cause de sa 
singulière probité et rare doctrine . 

» Édition de 1005 : 
Renverse les citez contre sa loy mutines 
Par feu, guerre, famine ou quelqu'air empâté. 

» Édition de 1605: 
Les bons du monde il oste et leurs âmes divines. . . 



Donc, France, tu dois bien a présent fondre en larmes * , 
Attendant chaque jour de bienpiteus alarmes, 
Puisque tu voy Turnèbe icy mort étandu * . 

Il estait vertueus, il estait docte et sage : 

Toutes fois il est mort bien avant le tams deu. 

Ou la règle est bien fausse, ou c'est mauvais présage. 



XVIII 

LE PRINTAMS 

CHANSON 

Nymphes qui, sous le cristal 
Des fontaines doux-coulantes, 
Mignolez Vor inégal 
De vos tresses blondoiantes ; 

« Édition de 1606 : 
Donc France, tu dois bien pleurs et souspirs espandre 
Et quelque grand malheur de jour a autre attendre. 

s Édition de !60ft : 
Puisque tu vois Mangot, icy mort estendu. 
Il estait vertueux, juste, dévot et sage. 



— 143 — 

Toy, Diane au carquois (for, 
Et vous, Seurs pleines de grâce, 
Qui fuies Venus, encor 
Qu'elle vous suive a la trace; 

Toy, courtière aus doigts polis, 
Qui, chassant la nuit tardive, 
Sème d 1 œillets et de lis 
Les ruons t les prez et la rive ; 

Vous, volages oisillons, 
Qui, libres de fâcherie, 
Ebranlez vos ailerons 
Sur les fleurs de la prairie: 
Voyez tous le renouveau, 
Voyez Printine la blanche 
Qui sème un thresor nouveau 
De thin verd et de parvanche. 

Ja les vens mignardelets, 
D'une douce et fresche haleine, 
Font nailre fruits verdelets 
Qui paroissent dans la plaine. 

Et si tost le clair flambeau 
Du Soleil qui se reveille 
Ne sort du gouffre de Veau, 
Poursuivant l'Aube vermeille, 

Que le bouton gratieus 
De la rose peu durante, 
Etend les plis précieus 
De sa robbe bien- flairante. 



6* 



- 444 - 

Juppin, pour ensemencer 
Le sein de Junon la belle, 
Fait tant d'eau cy bas verser 
Que grosse en est sa mammelle. 

Nature, dans les herbis, 
Plantureusement féconde, 
Pousse les arbres fleuris 
Et le cours bègue de Vonde. 

Cependant le rossignol, 
Dans la forest qui verdoie, 
Sur un rameau doux et mol 
Aus Zephirs conte sa joie. 

Et Venus pour un Adon, 
Dans les vergers d'Amatonte, 
Sent le feu de Cupidon 
Qui peu a peu la surmonte. 

Ce garson porte-carquois 
Ça et la ses feus élance, 
Faisant courber sous ses lois 
Des dieus mesme la puissance; 

Les citoïens des forests, 
Des oiseaus la trouppe ailée, 
Sent bien les rigoureus traits 
De sa flèche enflellie. 

Le berger, non moins gaillard, 
Chante et en chantant amuse, 
Prez d'un ruisseau babillard, 
Sa trouppelette camuse. 



— 148 — 

Les bergères, en un rond, 
Par les prex meineni la danse 
Cependant les maris sont 
Ententifs a la cadance. 

Helas que les dieus amis, 
Comme en la première année, 
N'ont ils encore permis, 
Par fatale destinée, 

Que sans aucun sentiment 
De Vhyver qui nous menace, 
Nous visions incessamment 
De verdeur rire la place? 

las! nostre salle péché, 
Las! nostre faute commune 
Est cause que Dieu, fâché, 
De tels mous nous imfortune. 






-146- 

XIX 
LE NAUTONNIER DESESPÉRÉ 



La femme de Tilon, la paupière mtelose, 
Ouvrait des cieus riants la barrière déclose 
Et de perles semait tous les lieus oV alentour; 
Les peuples emplumez soudain, avec le jour, 
Commençaient à conter leur amoureuse flamme 
Aus Faunes chevreyriez qu'un feu pareil enflamme; 
La rose, sous les rais du Soleil nouveau-né, 
Découvrent a longs plis le cour al boutonné 
De son chef flamboiant dessus la verte espine, 
Quand Moret, le nocher qu'un cruel soucy mine, 
En sursaut se leva et chassa de ses yeux 
Le charme languissant du sommeil ocieus. 

Le jour, de vray, commence et aussy fait sa peine, 
Peine dont il se plaint, étendu sur Vareine 
Comme le cigne blanc qu'un traitre assassineur 
De son dard empenné a frappé droit au cueur. 
Au lieu de calfeutrer sa navire percée, 
Au lieu de s'égayer sur fonde traversée, 
Ou prendre au fil trompeur d'un friand hameçon, 
Pour nourrir ses en fans, le peu sage poisson, 
Misérable qu'il est, depuis la matinée 
Jusqu'au serain moUeus de la nuict retournée, 



- 147 — 

II raconte aus Tritons, aus trouppeaus écailles, 
Aus fleuves escumeus, aus ruisseausemaillez, 
Le soucy qui, gravé dans le roch de son ame, 
Fait que, baignant en pleurs, ces propos il entame : 

Père Saturnien, qui porte dans la main 

Un sceptre a trois fourchons, quel malheur inhumain 

Ce jouroVhuy vient fouler toute l'humaine race? 

D'ouvimlgu'unrmlsuitl'autreetqu'aucunjourncpasse 

Sans ramener au monde une moisson de mausf 

Je croy qu'au plus profond de Vabme des eaus 

Tant de poissons muets deçà, delà, ne nouent 

Que de malheureux soins de jour en jour se jouent 

A confire en V aigreur de ne scay quel soucy 

Le courage de l'homme en son mal endurcy. 

Quinze fois dans les cieus la pallissante amie ' 

De celuy qui repose au rocher de Latmie 

A mis fin a son cours sans voir que les malheurs 

Aient donné relâche au ruisseau de noz pleurs. 

N'aisje pas veu naguiere un trouppeau de gendarmes 
Dessus leur dos courbé faire craquer les armes 
Et, pour un vain espoir, ensanglanter la mer, 
Pendant que le Dieu Mars tachoit de consommer 
De Vun et l'autre camp la puissance affaiblie f 
N'ais-je pas veu nos chefs, epoins de lafollie, 
De la rage de Mars, se combattre en façon 
Qu'on voit, aus champs d'Afrique, un sauvage lion 
Qui a d'un trait pointu la poitrine blessée, 
Alors, fumant, muglant, a crinière hérissée, 



— MB-— 

ffun courage orgueilleus prendre, rompre et briser 
Le dard que le larron luy voulait élancer? 

saintes Dettes, o chastes Nereïdes, 

Qui vous a fait sortir des campagnes humides, 

Sinon le fier soldat qui, courant sur le dos 

De la vieille TKÊtis, troubla vostre repos? 

fay veu que quand Eol, dans sa prison serrée 

A bride retenait les frères de Borée, 

Et que tant seullement Us beaus mignons Zephirs 

Faisaient froncer les eaus de leurs tiedee soupirs, 

Vous éleviez la leste, et, sortant hors de l'onde, 

Après avoir noué vostre perruque blonde, 

En rond, dessus Us eaus, commenciez a danser 

Et dansant, maint ruisseau, maint fleuve traverser. 

Cependant a plain son la gentille mouette 

Chantoit dez le matin jusqu'à la nuit muette; 

On voioit les dauphins alaigres sauteler, 

El les oiseaus marins en jazant fendre Vair. 

Mais or que j'apperçoy que ce marin repaire 
Est plus quun bois désert horrible et solitaire, 
Je connoy que les Dieus, faclvez, ont dessur nous 
Versé et renversé le fiel de leurs courrons. 
Je ne voy plus au ciel qu'un Ion-sifflant orage, 
Un vent, un tourbillon, un éclair, un nuage, 
Un feu que Juppiter élance de là haut 
Sur la nef qui, craignant quelque périlleus saut, 
A la mèrcy des vents ça et là se revire. 
Et bien, que le patron d'une telle navire 



- 140 — 

Soit expert a prévoir le danger qui le suit, 
Et seurement scavoir quelle estoiUe reluit, 
Selle ramènera la tempeste et la pluye 
Ou le serain flambeau qui les nues etuue, 
Si esUl en danger de voir, au damées siens, 
Tomber au fond des eaus le plus beau de m biens. 

Ha, nochers, je vous plains, vous, nochez, que fortune 
Tourmente doutant plus que la mort importune 
Légèrement poursuit votre nef que lesoieus 
Délivrent aux abbois du core pluvieus. 
Je vous pry* quelle peur, quand les venteuses nues 
Or agent sur ks nefs dedans V air suspendues : 
Que le vent brise-nef fait sourdir un grand bruit, 
Que les eaus et le ciel sont couvers dune nuit, 
Que le trait de Vulcam pirouettant, foudroie 
La nef et le forçat qui, aveuglé, se noyé. 
Celuy portait au cueur un chesne ou un rocher, 
Fils dun lion cruel, qui, devenu nocher, 
Osa fendre la mer dune légère rame, 
Ecorté fausement du désir qui V enflamme 
D'aller voir quel soleil reluit aus autres liens. 
Les Nymphes, les Tritons et tous les autres Dieus 
Eurent le cueur glacé quand ils virent la hune 
Et le mast assemblez pour aller voir Neptune. 
Et, depuis ce tams-la, couvants au fond du cueur 
Contre les nautonniers une griefve raneueur, 
Permirent que le vent 9 parmy les eaus profondes, 
Incessamment battit leurs pouppes vagabondes. 

Or donc puisque les Dieus, contre nous dépitez, 
Ont versé des malheurs les vaisseaus éventez 



— 180 — 

Adieu, Tritons hydeus, adieu, vieilles Phorcides, 
Adieu, rochers hautains, et vous, eaus homicides! 
Adieu lune, adieu retz, adieu moites maisons, 
Adieu Nymphes des eaus, adieu muets poissons ! 
Il vaut mieus vivre pauvre et demeurer en terre 
Que foisonner en biens et naviger grand erre. 



XX 

EPITAPHE 

DE MONSIEUR <BUDÉE 
MAISTRB DES REQUESTES ET CONSEILLER DU ROT 



L OMBRE PARLE 



Q 



u aucun amy, après mon dernier jour *, 
Sur ce tombeau ne face long séjour, 



* Dans l'édition de 1605. cette Épitaphe est attribuée 
au poète Ennius ; 

Nemo me lacrymis, etc 



— 151 - 

Pleurant Sautant que la parque meurtrière i 
Prive mes y eus dune douce lumière; 
Pourquoy cela? Dedans les doctes cueurs 
Sont engravez mes faits et mes honneurs. 



XXI 
LES PLAISIRS 

DE LA 'VIE RUSTIQUE 

IMITATION DU LATIN d'hOXAGE: 

Beatus ille qui procul negotiis ». 



*rois fois bien heur eus soit celuy 
Qui, pauvre, mais libre d'ennuy, 



i Édition de 1605 : 

Pleurant, criant que la Parque homicide, 
M'a faict passer la rive Acherontide; 
Pourquoi cela? Je vole encor vivant 
Par les discours de tout homme sçavanl. 

* Epodon liber, Ode II. 



— 152 - 

Ainsi que ceus du premier âge, 
Quitte de debte, avec ses beus, 
Va cultivant Us chams herbeus, 
De ses ancestres l'héritage. 

Au bruit d'un enroué clairon 
Il ne sent la peur environ. 
Ses membres reposez sur Vherbe, 
Il ne craint point de se noyer, 
H fuit le trichard plaidoier, 
Et des grans la maison superbe. 

Mais ou bien tantost ans ormeaus 

Il marie les ceps nouveaus, 

Ou, a V écart dune vallée, 

Va gardant ses trouppeaus muglans 

Or ente-il des plus heureus plants 

Au lieu de la branche avallée. 

Puis il va serrer le doux miel 
Que les mouches, filles du ciel, 
Luy rendent, gage de sa peine; 
Ou quelquefois, s'il a loisir, 
Il tond, incroyable plaisir, 
De ses brebis la riche laine. 

Mais quand l'Esté chaud est changé 
En Automne de fruits chargé, 
Qu'il est aise, prenant la poire 
Sur Varbre qu'il avait enté, 
Et le raisin qui en beauté 
Relire sur la couleur noirci 



-153 — 

Raisin qu'humble et devotieus 
Il ne craint d'offrir a ses dieus, 
Au Sylvain et au Lampsacide 
Qui empêche, de tout costé, 
Que quelque larron effronté 
N'y jette sa main homicide. 

Maintenant, pour passer le tamt, 
Délivré de soucis cuisons, 
Or luy plaira-t-il de s'etandre 
Sous l'ombrage iïun chesne viens, 
Et or sur f email precieus 
De la verdure jeune et tendre; 

Cependant les flotz sourdoians 
S'écoulent dans les prés rions; 
Cependant les oiseaus se plaignent, 
Cependant le thin et Vaillet, 
Dans le ruisseau mignardelet, 
Aus rayons du Soleil se baignent. 

Mais quand la negeuie saison 
Fait hérisser son poil grison, 
Ou il pousse dans les cordages 
Les sangliers poursuivis des chiens, 
Ou il tend des petits hens 
Pour prendre lagrwe aus boceages! 

Hé qui, entre tant de travaus, 
Se pourvoit souvenir des mous 
Que ce petit garsm mus bramt 
Que si encore d autre part 



— 184 — 

La femme veut avoir esgard 
Au maintien de sa belle race. 

Telle que celle tfun Sabin 
Ou d'un Apule qui, soudain ', 
A courir ne trouve son mitre, 
Au retour de son mary las 
Elle avancera des eclas 
Pour après le feu dedans mettre. 

Puis, enfermant ses gras trouppeaus, 
De laict remplira ses vaisseaus 
Pour l 'entretien de son mesnage : 
Cela fait, ira droit au vin, 
Après cueillira de sa main 
Les herbes de son jardinage. 

Le conchil, le friand turbot, 
Ou le Denté, si quelque flot 
Que le vent ça et là manie 
Nous en poussait jusques icy, 
N'entre point dans moy, n'y aussy 
Le bon Francolin d'Yonie. 

De ces viandes le désir 
Ne scauroit mon ame saisir 
Ainsy que les olives pâlies 
Cueillies d'un huilleus rameau, 



* Les mœurs des Sabins et des Apuliens étaient 
exemplaires. 



- 155 — 

Lozeille, la mauve et V agneau 
Occis ans festes Terminalles * . 

Entre ces metz plus gratieus 
Que le Nectar delicieus, 
Quel plaisir y voiant de sa table 
Untrouppeau déjeunes brebis 
Qui, retournant des gras herbis, 
Va de soy mesme dans Vestable? 

D'entrevoir les taureaus lassez 
Traîner de leurs cols abaissez 
Les charrues ja tournoiantes? 
Et de ses chambrières les fllz 
Qui contre le feu sont assis 
Entre les landes flamboianks. 



1 Les Terminales, fête du dieu Terme, se faisaient 
le 7 des calendes de mars, c'est-à-dire le 23 février: 
on immolait ordinairement des agneaux. 



% 



— 156 — 

XXII 
LE TOMBEAU 

DE CHARLES DE LORRAINE, CARDINAL 

France, si quelquefois on aveu de tes yeux, 
Ainsy que d'un ruisseau qui s'écoule en deus lieus, 
Sortir les grosses pleurs pour la mort trop soudaine 
De quelque bon seigneur qui, d'un' ame hautaine «, 
Avant que d'estre enclos au destiné tombeau, 
Soutenoit de son Roy la charge et le fardeau * : 
Or, France, peus-tu bien, oVune main violante, 
Arracher les beaus nœus de ta tresse sanglante! 
Tupeus bien fondre en pleurs et soupirer celuy 
Qui, pour te voir si grande, a tant souffert dennuy. 

(Test Charles, ce grand prince a qui ceus de Lorraine * 
Doivent l'avancement de leur maison qui règne, 



i Édition de 1605: 
De quelque grand seigneur qui, d'une ame hautaine. 

* Édition de 1606: 
Des affaires tf Estât soustenoit le fardeau. 

•Édition de 1605: 
C'est Charles, ce grand prince, ornement de la France, 
Colomne de la foy et des bons l'espérance. 



- 187 - 

Si au moins c'est régner que florir en vertu * 
Après avoir par fer et conseil abbatu 
Le meurtrier qui couvrit, au fond de sa pensée, 
Des princes et des Boys la perte commencée. 

Ha Dieu ! Quel crevecueur ! Quels soupirs I Quelles pleurs t 
De se voir dépouillé de tant de bons seigneurs! 
Hclas! sitost mourir pour avoir pris la peine 
De perdre et renverser Vennemy sur Vareine! 

Charles, si ton esprit, sans tant se travailler, 
Eusl voulu seullement de ton bien se mesler 
Et non perdre le boire et le jeu, pour défendre 
Ce sceptre qu'on vouloit par cautelle surprendre, 
Or tu serais en vie et non pas au cercueil 
Qui pourrit le cerveau, le cerveau, dis- je, et Vanl 
Qui ont tant de fois veu, avant plusieurs années, 
Ce dont nous menaçoient les fières destinées. 
Ouy tu vivrais ! Mais quoi? Charles, tu sçavois bien 
Que vivre en casanier ce n'est oit le moien 
ïïengraver à jamais, au temple de Mémoire, 
Dans un marbre poly, le renom de ta gloire * 

Mieus vaut d'un masle cueur se ruer au travers 
Du camp des ennemis qui troublent V Univers ' , 



• Ce vers et les trois suivants ne se trouvent pas 
dans l'édition de 1605. 

s Édition de 1605 : 
Dans un marbre éternel le renom de la gloire. 

» Édition de 1605 : 
Des traîtres ennemis qui troublent V Univers. 



— 188 — 

Qu'a V orribre d'un palais, forlignant de sa race, 
Avoir le cueur plus froid que la nege ou la glace ' / 
Qui ore connoitroit la vertu et le nom 
D'Hercule, de Nestor, oVAchil, d'Agamemnon, 
S'ils n'eussent méprisé la volupté, la vie, 
Pour mettre contre bas la détestable envie . 
Qui depile, s'écrie et sent que son effort 
Est trop foible pour mettre un tel seigneur a mort *. 

Donc, Charles, quand, suivant ta race généreuse, 
Tu vins de ton conseil rendre la France heureuse, 
Tu songeais que la mort, de son trait empenné, 
Ne pouvoit offencer un prince si bien-né. 
Ainsy, foulant aus piez ceste langue secrette 1 , 
Qui voulait enserrer, dans la tombe muette 
Et de toy el des liens le beau nom revestu 
De Noblesse, prenant sa source de Vertu, 
Tu as passé le feu, la tempeste et la foudre 
Qui des sages ne peut l'entreprise résoudre. 

Que si dessus ce point pour un jamais, je veus 

De main en main bailler par vers a noz nepveus \ 

i 
. i 

* Édition de 1605 : 
Avoir le cœur, de crainte, aussi froid que la glace. 

«Édition de 1605: 
N'est bastant pour mener leurs renoms à la mort? 

1 Édition de 1605: 
Ainsi foulant aux pieds ceste envie secrette 
Qui voulait enterrer dans la tombe muette. 



— 189 — 

Le conte de tes faitz et de ces vertus rares 
Qui ont mesme fleschy la fierté des barbares '„ 
Je n'auray jamais fait. Car comme le grand chef, 
Du monstre Leméan recouvrait de rechef 
Deux tesfes, quand Hercul luy en abbatoit une, 
Tout estoil a ses faits contraire la fortune : 
Ainsy, après avoir d'un immortel outil 
Engravé dans ces vers quelque beau fait gentil, 
Un autre surviendra, donnant tousjours matière 
Dont l'onpourroit escrire un* Iliade entière. 
Et toutesfois, afin que la postérité 
De ce prince scavant connaisse la bonté, 

Je veus dire le mieus qu'il me sera possible 
Qu'au plus vert de son âge (hé qu' est-il impossible 
A cil qu'époint V amour d'un éternel renom?) 
Il vint suivre les Rois, ne désirant sinon * 
Montrer que sa maison, vertueuse et fidelle, 
Opposerait sa vie au cousteau du rebelle. 

Donque, comme jadis on vit le grand Atlas * 
Soutenir tous les cieus, le fardeau de ses bras ; 



« Édition de 1605: 
Qui ont mesnies fleschy le cœur des plus barbares. 

* Édition de 1605: 
Il vint suivre nos rois, ne désirant, sinon 
Monstrer que sa vertu, heureusement fidelle. • 

5 Édition de 1605 : 
Donc ainsi qu'autresfois on vil le grand Atlas. 



- 100- 

Ainsy, Charles, avant que la cruelle Parque 
Veut fait entrer la bas, dedans la fresle barque, 
Ton esprit soutenait la charge des Valois l 
N'outrepassant d'un pouce ou les divines lois, 
Ou le commandement de ton roy débonnaire. 
S'il fallait a quelcun un' ambassade faire, 
On s'adressait a toy. Car tes motz prononces 
Passaient en parangon les foudres élancez 
De la puissante main de Jupiter qui, père \ 
Du seul clin de son œil tout le monde tempère. 

N'a ton pas veu, jadis, sous tes propos dorez l , 
Mille peuples fléchir, comme aus champs azurez 
Les bleds jaunes et verds, sous la puissante rage * 
D'un vent qui, messager du pluvieus orage, 



« Édition de 1605 : 
Ton esprit soustenoit la charge de nos rois 
Sans violer en rien de ce grand Dieu les lois. 
S'il falloit a quelcun rendre prompte response, 
S'il fallait contenter quelque Duc, quelque nonce, 
On s' adressait a toy, etc. 

* Édition de 1605: 

De la puissante main de ce souverain père 
Qui, du clin de ces yeux tout le monde tempère. 

«Édition de 1605: 
Ne vit-on pas jadis soubz tes propos dorez. 

* Édition de 1605: 

Les bleds jaunes et secs soubz Veffroiable rage. 



— 161 — 

Meine dans les forests et les plaines un bruit? 

Venise le scait bien, dont le peuple, séduit 

Par tes mieilleus propos, connut que Vignoranoe 

Sous son ventre affamé ne couvoit plus la France. 

Car, comme enplain hyver, mille bruians ruisseaus, 

Le nuage crevé, se ruent des couppeaus 

De quelque hauts rochers, et le torrent saccage, 

Brise, froisse, renverse au plain d'un paisage 

Le tect du laboureur, et, de ses flolz béans, 

Emporte les greniers et les trouppeaus bilans «; 

Ainsy ton Eloquence, en sa bouillante force, 

Des peuples ravissoit la trouppe qui s'efforce 

D'ouïr, louer et voir le prince des Lorrains, 

Qui emporte en parlant le pris sur les Romains *. 

Que Vignorant se taise, et, après mille années, 

Retire de cecy que les chansons sonnées 

Sur le beau luth ^Orphée attiraient les caillons y 

Les arbres estonnez, des eaus le glissant cours, 

Mesmes qu'elles pouvoient, tant estoient emmiellées, 

Attirer après soy les roches oreillées, 

V eu que ce bon Lorrain, vraye race des Dieus * 

Des hommes révéré, favorisé des cieus, 

' Édition de 1605: 
Emporte les celliers et les trouppeaus bélans. 

s Édition de 1606 : 
Qui parlant emportait le prix sur les Romains. 

» Édition de 1605 : 
V eu que ce bon Prélat, Prince sage et pieux» 



- 162 — 

Par le mielensucré de sa voix non pareiUe 
Allirùit du barbare et V esprit et F oreille. 

Filles de Jupiter, par voz larmeus ruisseaus i 
Troublez le crislalin de vos profettes eaus; 
Plombez vostre poitrine et plus que pour Orphée 
Axez lame de dueil et de rage eschauffèe. 

Car, s'il vous en souvient, ce fut luy le premier 
Qui orna vostre front d'un trionfant laurier, 
Apres qu'eustes vaincu cet hydre monstrueuse 
Qui couvoit dessous soy la France paresseuse. 
Donques, Seurs d'Apollon, pour le favoriser *, 
Luy qui ne voulut çnc voz carmes mépriser, 
Dedans un antre obscur ou le soleil n'éclaire * 
Allez, pour larmoier, vous rendre solitaire; 



i Ce vers et les trois suivants ne se trouvent pas 
dans l'édition de 1605 ; ils sont remplacés par ceux-ci : 
Qui donc n 'aurait regret d'avoir si tost perdu 
Un tant brave Seigneur, qui enfin eust rendu 
A son lustre premier la justice, l'Eglise, 
Les sciences, les arts, et bref tout ce qu'on prise 
De beau et de louable en ce grand Univers? 
Ha céleste Uranie, ha chantres ayme-vers, 
Souspirez pour sa mort, et a pleurs descouvertes 
Tesmoignez a chacun le mal' heur de vos pertes. 
Las s'il vous en souvient, etc. 

> Édition de 1605 : 
Donc, o sacré trouppeau, pour le favoriser, 

» Édition de 1605: 
Dedans un antre obscur ou le soleil n'esclaire 
Allez, pour mieux pleurer, vous rendre solitaire, 



- 163 - 

Voslre deuil sera grand, aussy d'un tel seigneur 
Le los éternizé, la Vertu et l'honneur 
Mérite qu'a jamais soupiriez la journée * 
Que par un sort fatal, sa vie fust bornée. 



XXIII 

SUR LA BRIEFVETÉ 

DE LA 'VIE HUMAINE 

Hélas! mon cher amy, les ans fuyars s'écoulent ', 
Et si la piété, tant les deslins nous foulent, 
Ne peut l'homme exenter que sans veines et ners 
Au giron de sa mère, il ne paisse les vers. 

Amy, quand tu ferois trois fois un' hécatombe * 
A Pluton chaque jour, si est-ce que la tombe 



« Édition de 1605 : 
Mérite qu'a jamais regrettiez la journée 
En laquelle, 6 mal'heur, sa vie fut bornée. 

2 Dans l'édition de 1605, cette pièce est adressée à 
M. Beard, secrétaire du roi. 

» Édition de 1605 : 
Quand bien il offrirait une riche hécatombe 
Chaque jour à la mort, si est-ce que la tombe 
Ne le pourroit fuyr etc. 



- 484- 

Ne te pourrait ftiïr. Car le nocher Choron 
Tout homme doit passer, soit roy, soit bûcheron, 
Soit laboureur qui ait les mains tout ampouUies 
& avoir tranché des chams les entrailles foulées t ' 
Soit un grand empereur gui, comme Jupiter *, 
La terre ébranlera s'il se veut dépiter. 

En vain le casanier, tout bouffy de fumée 

Evite les assaus d'une guerre allumée a 

Contre son propre Roy. Car soit tost ou soit tard 

Si doit-il estre seur de son certain départ. 

Aussy fuiiAl en vain des homicides ondes 

Les torrens perilleus et les fosses profondes » ; 

En vain, disje, craint-il qu'embarqué sur la mer, 

Il ne voye sa nef dans les eaus abîmer 

Et, entre les éclairs et l'orage, la vie* 

Luy estre a l'impourveu par les destins ravie. 



* Édition de 1605 : 

Soit un grand Empereur qui, du clair de ses yeux, 
Faict trembler quand il veut et la terre et les deux. 

* Édition de 1605 : 

Evite les dangers oVune guerre allumée 
Contre son propre roy : car il faut tost au lard, 
Dieu ainsi le voulant, se résoudre au départ. 

* Édition de 1605 : 

Les torrens perilleus et les syrtes profondes 
Craignant, tant il est fol, qu'embarqué sur la mer. 

* Édition de 1605 : 

Ou qu'entre les esclairs.ou l'orage, la vie 
Luy soit à l'impourveu, par le destin ravie. 



- 165 - 
Redoute qui voudra le trenchant des cousleaus «, 
De voguer et courir sur les parjures eaus 
Si est-ce que laloy et seure et géneralle 
Eprouver te fera le trait de la mort palle. 
Il faut aller la bas où est l'onde crasseuse * 
Du triste Phlegeton, que son eau paresseuse 
Fait croupir dans le fond dun limonneus bourbier, 
Où nous doit rendre un jour le triste naulonnier. 
Là, nous verrons le Slyx de qui Vonde jurée 
Ne peut estre, sans mal des hauts dieus, parjurée; 
Ainsy le confirma le grand Père des dieus 
Qui, ébranlant son chef, fit trembler tous les cieus. 

Et afin, monamy, qu'envers la destinée 
Ton ame quelquefois ne soit point obstinée * 



i Édition de 1605: 
Evite si tu veux les alarmes, les coups, 
Les forests, les déserts, les tigres et les loups, 
Si est-ce que la loy certeine et géneralle. 

* Ces vers ne se trouvent pas dans l'édition de 1605, 
ils y sont remplacés par les deux suivants: 
Tu as beau reculer, quelque jour avenir 
Comme tes devanciers, il te faudra finir. 

» Édition de 1605 : 
Ton ame quelquefois ne se rende obstinée, 
Scacheque Dieu nous fait plus de bien que de tort; 
Quand de bonne heure il fait tomber sur nous le sort, 
Et qu'il seroit meilleur, etc. 



— 166 - 

Sache qu'il faut mourir et, dans un certain temps, 
Laisser ville, maisons, femmes, biens et enfans, 
Et qu'il seroit meilleur ou de ne jamais naitre, 
Ou mourir aussy tost qu'on auroit pris son estre. 



XXIV 
ADIEU AU MONDE 

ODE 



Trois et quatre fois heur eus V homme 
Qui ne veut estre poursuivant 
Les riches honneurs, que le vent 
Le feu, le tamset Veau consomme. 

Aussy f estime davantage 
Le laboureus qui, souffreteus, 
Cultive quelque champ pour ceus 
Qui vivotent en son mesnage, 

Qu'un brave seigneur, lequel couve, 
Au fond de son cueur envieus, 
Quelque désir ambitieus 
Sans que satisfait il se trouve. 



— 167 - 

Je regarde; mais depuis l heure 
Que j'aspirayje ne scay quoy, 
J'ay toujours quelque vifemoy 
Qui dans mon cueur fait sa demeure. 

Toute la nuit; quand je repose, 
Morphé, ce traître, ce trompeur, 
M f offte maint litre, maint honneur, 
Ou je voy ta richesse enclose. 

Aucune fois je suis grand prince, 
Et tout le monde qui me voit, 
Si ébahissant, me montre au doit 
Comme le chef de sa province. 

Combien de fois, sous un faux songe, 
Tay eu oVescus pleines les mains, 
Heureus entre tous les humains 
Si ce n'eust point esté mensonge; 

D'autrefois, dedans un* Eglise, 
Comme evesque j'ay le roquet, 
Et oV autre-fois, dans le parquet, 
Comme président je devise. 

Mais las! mais las! quand je m'éveille 
Et, deconforlé,je me vois 
Estre tousjours de mesme bois, 
Ma vie estre tousjours pareille. 

Lors, crevant de dépit, j'accuse 
Tous les Dieus de m' avoir ainsy 
Mon heureus sommeil accourcy, 
Et l'espoir d'un bien qui m' abuse f 



- 168- 

Doncque, sans plus a tien m* attendre 
A ce monde, je dis adieu. 
Je veus, pour mieus servir a Dieu, 
Dedans quelque rocher descendre. 

Là, mon ame, de peu contante, 
Aus pies foulera les honneurs, 
Du monde les vaines douceurs 
Et le beau de Vor qui nous tante. 

Je veus vivre en un hermitage 
Elevé sur un haut rocher; 
Là ne puisse aucun approcher 
Pour en divertir mon courage. 

Si tost que l'Aube rousoiante 
Aura lancé ses premiers rais. . . 



Ici se termine le manuscrit, dont la dernière feuille 
parait avoir été seule enlevée. 




LES REGRETS 

DU COMTE DE SMONGOMMEJiY 



LES REGRETS 

ET TRISTES LAMENTATIONS 

DU 

COMTE DE MONGOMMERY 

SUR 

LES TROUBLES 

Qu'il ^ esmeuz au Royaume de France depuis la mort 

du Roy Henry deuxiesme de ce nom jusques au 

vingt-sixiesme de juing qu'il a esté exécuté 

AVEC UNE 

PRÉDICTION # SUR LA PRINSE DE SON FILS, 
En la ville de Charentan 

Par C. Dem. P. 



04 TARIS 

PAR PIERRE DESHAYES IMPRIMEUR 

DEMEURANT PRES LA PORTE SAINT-MARCEL 

1574 

AVEC PRIVILÈGE 




4fcÀ\V 



AU LECTEUR 




scoute, France, escoute les aecens 
De ma guiterre et sa sainete douceur: 
A celle fin que, louant le Seigneur, 
Tu aye part a l'aise que je sens. - 



En ces vers cy raconter je pretens 
De nostre Dieu la tardive rigueur, 
Et du mutin la poignante douleur, 
Un repentir qui luy trouble le sens. 

Mongommery, peste de l'univers, 
Mi-mort soupire, et se plaint, en ces vers, 
D'avoir ainsi saccagé son pays. 

Puis tu verras comme le Dieu puissant 
Sans se haster renverse le meschant, 
Juste loyer du travail qu'il a pris. 



. — 174 — 

II 

LES REGRETS 
"DU COMTE "DE éMONGOMMERY 

SUR LES TROUBLES 

QU'IL A ESMEUZ AU ROYAUME DE FRANCE DEPUIS LA MORT 

DU ROY HENRY, DEUXIESME DE CE NOM, JUSQUES 

AU JOUR QU'IL A ESTÉ EXÉCUTÉ 

Par C. Dem. P. 

Lasî sur ma triste fin je commence à cognoistre 
Que Dieu vers les humains juste se faict paroùtre, 
Et qu'il oeut que le monde, obéyssant aux Roy s, 
Aime, prise et honore eux et leurs sainctes lois. 
Hélas! depuis le jour que, d'une main guerrière, 
J'ostay au Roy Henry la vie journalière *, 



1 Le 29 juillet 1559, à la fin d'un tournoi dans 
lequel Henri II , ayant fourni quelques courses assez 
brillantes, voulut rompre encore une lance avant de 
se retirer, il ordonna au comte de Montgommery, alors 
capitaine des gardes, de courir contre lui. Les lances 
furent rompues , mais le comte oublia de jeter le 



- 175 - 

Je riay point proffité, et sens dedans mon cueur 

Un triste repentir, une vaine douleur, 

Qui, sans aucun repos, fièrement m'epointelle * 

Et appaise sa faim, me rongeant lamouelle 

De mes os, ja plus secs que ceux d'un homme mort . 

Ha lasche désespoir! Ha pileux deconfort! 

Devoy-je en cette sorte hardiment entreprendre 

Le combat contre un Roy? Et puis les armes prendre 

Contre ses sages fils qu'avons cruellement * 

Par armes assailly dès le commencement 

De leur règne troublé? L'homme qui par trop ose 

Souvent de son malheur est la source et la cause. 

Or il fault que je meure et le destin piteux 

D'un infâme sommeil vienne clorre mes yeux. 

Ha! déesse sans yeux, fortune piperesse 

Qui nourris les humains d'une foy menieresse, 



tronçon qui lui restait dans la main et en frappa mor- 
tellement le Roi. Malgré tous les efforts de Fart et, en 
particulier, ceux du fameux Vesale, accouru de 
Bruxelles sur Tordre de Philippe n, Henri expira le 
iO juillet. Un éclat de bois avait pénétré dans la cer- 
velle. 

i M'épouvante, me remplit de crainte. 

9 Montgommery, retiré en Angleterre, embrassa les 
opinions des Réformés, et lorsqu'éclatèrent, en 1562, 
les guerres de religion , devint l'un des chefs les plus 
redoutables des Protestants. 



— 17«^ 

Qui cornmandacy bas et faits trembler les IHeux 
Et les mânes blêmis de l'Orque rigoureux *, 
Devoy-je tant durer et prolonger ma vis 
Pour ores m'estre icelle honteusement ravie! 
Déesse! tu debvois aux allarmes de Mars, 
Estant en un assault entre mille soldars, 
Faire dessous V effort dune outrageuse guerre 
Couler et renverser mon cerveau contre terre, 
Sans me conlregarder et en ce point icy 
Me livrer, malheureux, à si cruel soucy. 
Lorsque je conduisais par les eaux mes armées *, 
Capitaine asseuré des galères ramées, 
Que n'ay-je veu les vents balayer les siUons 
Ou se loge Neptun et les moites Tritons; 
Forcener sur la mer d'une escumeuse rage 
El de bouillons enflez couvrir tout le rivage? 
Que n'ay-je veu un flot s'élancer dans ma nef, 
Plongeant dedans la mer mon misérable chef? 



* Orcus, dieu des Enfers, nom de Pluton. Ut Verres» 
alter Orcus, venisse Ennam et non Proserpinam 
asportasse, sed ipsam abripuisse Cererem videretur 
(Gia, Verr. 2, 4, ISO). 

1 Le 19 avril 1573, Montgommery, à la tête d'une 
flottille anglaise composée de petits bâtiments équipés 
par les réfugiés protestants qui avaient quitté, à la 
hâte, les ports d'Angleterre de peur d'être arrêtés par 
ordre d'Elisabeth, tenta de secourir La Rochelle et fit 
parvenir quelques munitions aux Rochellois. 



- 177^ 

Que riay-je veu, hélas! mes galères, rompues, 
S'eclatter en morceaux sur les ondes chenues? 
Ou bien lors que j'estais entre les durs assauts 
De la flère Bellonne, endurant mil travaux, 
Que n'ay-je veu au moins Sun gendarme Vespie, 
Dans mon sang espandu vaillamment détrampéet 
A grand peine festois en la fleur de mes ans 
Que je fis craquelter les corselets pesons 
Sur mon dos recourbé, en supportant les armes 
Pour attaquer au camp les ennemis gensdarmes. 
Toutes- fois je n'ay peu faire que le Destin 
D'un canon ou Sun glaive à mes ans mit la fin. 

Heureux, heureux celuy qui, d'un masle courage, 
Rapproche brusquement du Martial orage 
Et qui, après avoir vaillamment combalu, 
Enfin d'un brave coup est en terre abatuî 
Un chacun va semant mainte rose pourprée 
Sur son sang espandu, sur sa face enferrée, 
Chacun dit, en passant : en paix et en repos 
Pour un temps éternel puissent eslre tes os, 
Chacun puisse graver ta vertu et ta gloire 
Dans le marbre poly du temple de Mémoire! 
En ce point on a veu nos pères, nos ayeulx, 
Eterniser leur nom et s'égaler aux Dieux. 
Mais celuy qui met fin a sa maudite vie 
A jamais diffamé d'une loche infamie, 
Et qui, les armes bas, par la justice pris * 



* Après avoir fait des prodiges de valeur en Nor- 



— 178 — 

Sert de fable el de jeu aux propres ennemis, 

Hélas quel crevecœur! Quelle rage félonne 

A grands flots ondoyans dedans son cueur bouillonne 

Voilà pourquoy au cueur je porte un soing poignant 

Me voyant en ce point mourir honteusement, 

Las! contraint de laisser d'une façon eslrange 

Mon ame qui desjà vers Acheron se range. 

Ha ! monstre oulrecuidé, maudite ambition, 

Que la feinte Juno engendra d'Ixion, 

C'est toy qui m'as causé une mort si piteuse 

Car Voyant pourchassé d'un' ame courageuse, 

Je meurs, pour tout guerdon, en lasche deshonneur, 

N'estant plus estimé ou plus riche seigneur 

Qu'eslois auparavant : car ceste femme nue 

N'hérite que les vants dfane fuiarde nue. 

Celuy qui te poursuit, il te poursuit en vain, 

N'embrassant qu'un espoir léger et incertain. 

Lorsque premièrement nos courageux gensdarmes 

Firent dessus leur dos craquer les fortes armes, 

Et que de tous costez l'homicide Enyon * 

Fit trembler les François d'un martial frisson, 



mandie, attaqué dans Domfront par le maréchal de 
Matignon qui le poursuivait avec des forces bien su- 
périeures, il fut forcé de se rendre et stipula qu'il 
aurait la vie sauve. Par l'ordre de Catherine de Médicis, 
il fut jugé et condamné à mort. 

t Enyon, nom grec de Bellonne; de Ewvw pour 
«vvw, conflcio, occido. 

Et face mutata bellum integrabat Enyo. 



— 179 — 

Nous pensions ja tenir le royaume de France, 

Chatouillé et ravis d'une vaine espérance: 

Au contraire survint la dure pauvreté. 

Le triste desespoir et la nécessité ; 

Et tousjours du malheur la grondante tempeste 

Pendoit à un flllet sur nostre pauvre teste. 

La faim nous assailloit, la crainte, la frayeur 

Nous glaçoit tout le sang caillé au-pres du cueur, 

Et tous, plus estonnez qu'un homme attaint de foudre, 

Nous avions, mais en vain, le corps couvert de poudre. 

Ha, Charles de Valois, vrayment j'ay mérité i 
D'estre en ce point puny pour V avoir despité! 
Toy qui ne poursuyvois que le salut de France, 
Ennemy de la guerre et de l'outrecuidance. 
A grand peine avois-lu le sceptre dans la main 
Que nous fusmes tous prests (ô courage malin) 
D'assaillir ton enfance et de douteux alarmes, 
Te faire maugré toy amasser des gensdarmes. 
Quinze fois le soleil et le flambeau moiteux 
Ont du tout accomply leur chemin dans les deux, 
La terre a de son sein fait germer la verdure, 
Bannissant de nos champs la poignante froidure, 
Tout durant lequel temps armez contre le roy, 
Nous avions j a mis tout en piteux desdrroy. 
Comm' on voit un trouppeau de louves affamées 
De rage, de colère et de pattes armées, 



* Charles IX de Valois. 

6* 



— 180 — 

Courir sur un mouton qui,, loing du pastoureau, 
Est le riche butin de ce cruel trouppeau: 
Ainsi plus inhumains qu'une louve bourreUe 
Nous assaillions le roy d'une façon crueUe. 
Mais Dieu qui, en pitié, du ciel le regardait, 
En moins de quatre mois nos dessins il brisait. 
L'homme juste et prudent qui en Dieu se confie, 
Hardy, ne crains jamais la brigade ennemie, 
Ny Vinjuste fureur du peuple bouillonnant, 
Ny la superbe voix (f un tyran menaçant, 
La foudre et les esclairs que Voir contre nous darde, 
El lapluye et le vent sa vertu ne retarde, 
Mesme si les neuf deux en pièces se rompoyent * 
Sans qu'il en eut frayeur, les esclals le tueroyent. 
Ainsi ce sage Roy, ecoré iïun bon Astre, 
Bien que tousjours advint quelque triste desastre, 
Toutes fois il faisoit retourner le malheur 
Sur celuy qui estoit et le chef et Vautheur; 



1 Allusion à l'astronomie des anciens , qui ont 
admis autant de deux solides qu'ils ont observé de 
mouvements différents, comme si cette solidité était 
nécessaire pour soutenir les astres qui y sont atta- 
chés. Ainsi, ils en avaient sept pour les sept pla- 
nètes : le ciel delà Lune, de Mercure, de Vénus, du 
Soleil, de Mars, de Jupiter et de Saturne. Le huitième 
est pour les étoiles fixes, qui est le firmament. Pto- 
lémée ajouta un neuvième cjel, le ciel premier mobile, 
lequel communiquait le mouvement aux autres. 



- 18! - 

Et comme, aux jours d'hyver, Aquilon rase4erre 
Chasse loing devant soy la nue qui enserre 
Soubs sa brune espaisseur la courbure des deux; 
Ainsi le Roy des Roys et le vray Dieu des Dieux 
Accablait de sa main les brigades armées 
Contre leur juste Roy follement animées. 

Hélas! je le sçay bien et, proche de la mort, 
Je confesse hardiment qu'un piteux deconfort 
Mepoinçonne le cueur, ayant repeu ma rage 
Sur Charles de Valois, des V Avril de son âge. 
Maudit soit donc celuy qui, premier, eut le cueur 
D'acquérir par le fer un royaume, un honneur, 
Mettant en grand danger une puissante armée, 
Pour un bien qui se passe aussi tost que fumée, 
La seulle ambition et le désir d'avoir 
Mont faict si hardiment tel crime concevoir. 
Or je suis guer donné « ainsi que je mérite, 
Et encor de mon mal la peine est trop petite, 
Ayant souventes fois d'un moyen cauteleux 
Fièrement offencé les hommes et les Dieux. 

Or vous, soldats mutins, au milieu des alarmes, 
Mirez vous dessus moy et mettez bas les armes, 
Voyant que le loyer de mon traislre conseil, 
Par un' honteuse mort, un destin nonpareil, 



1 Guerdonner, récompenser; en provençal gua> 
xardonar. Ancien français : Qui Dieu sert, Dieu le 
guerredonne. 



- 182 - 

Me faict aller là bas, pauvre ame criminelle, 
Attendre <fun Mac la sentence cruelle ! . 
Obéissez, soldats, a la divine loy 
Et ne vous armez point encontre vostre roy . , 
Mirez vous sur les faicts de la maison d'Aumale 
Qui a tousjours esté à son prince loy aile. 
Les Hercules Gaulois, les princes Guiseans % 
Puissent à bon chemin guider vos jeunes ans, 
Celuy qui, bataillant, peut prodiguer sa vie 
Pour son prince, son roy et sa noble patrie, 
Il acquiert, en mourant, un renom éternel 
Que le fer du Faucheur et V orage cruel 
D'un vant brise-rocher, onc ne pourront abbalre, 
Tant qu'on verra aux champs la Nimfelte folâtre 
Fouler du pied les fleurs en la verte saison 
D'un prin-lemps gracieux, et tant que le rayon 
Du Soleil loin- tirant dardera en ce monde 
Les rayons crepulus de sa perruque blonde. 

Donc aymez vostre Roy et pour luy n'ayez peur 
D'opposer vostre corps a l'aveugle fureur 
D'un mutin esquadron, plus fier que la lionne 
Que l'importune faim ou la rage esguillonne. 
Pour un voilage honneur, un tillre ambitieux, 
Ne Veslève jamais contre les fils des Dieux, 

i JEacus, nom de l'un des trois juges des Enfers, fils 
de Jupiter et d'Europe. 

Princes de Guise. De pareilles altérations sont 
fort communes à cette époque. 



— 183 — 

Les rois, que Juppiter chérit et favorise. 
Les biens par ce moyen et la richesse acquise 
Ne dure pas trois jours ; mais le noble renom 
Qu'on acquiert pour mourir secourant sa maison, 
Son prince, son pays, et la Chresiienne Eglise, 
Jl dure pour jamais et, saine t, il éternise 
Un soldat qui, la bas, iroit se lamentant, 
S'il n'eusl un jour acquis telle gloire en mourant. 
Si j'eusse esté loyal à la race Valoise, 
Si je n'eusse assailly la couronne Françoyse, 
Si f eusse, pour mon Roy, eu le costé ouvert 
D'une playe honorable, ayant le corps couvert 
D'un' espaisse poussière; et, en somme, si j'eusse 
Ma vie prodigué pour mon Roy, je ne fusse 
Jamais cheu en tel honte et destin si piteux. 
J'eusse hanté la court entre ces Semi-Dieux 
Qui, loyaux à leur prince, ont tout ce que désire 
Leur cueur humble et dévot, ou my -mort je souspire, 
Accablé d'un destin qui diffame mon nom, 
Ma vertu, ma prouesse et ma noble maison. 

Or, adieu je vous dis ; mon ame, ja voisine 
De la mort, vers Pluton légère s'achemine, 
Si le Seigneur puissant et du monde le Roy 
Ne regarde en pitié celuy de qui la foy 
A esté laschement mille fois corrompue, 
Ne remportant sinon une Iwnte cognue 
En l'hyver de mes ans ou estreje devroys 
Chery et estimé des princes et des Roy s. . 



— 184- 

III 
LA JUSTICE DE DIEU 

ET COMME ENFIN ELLE PUNIT LES REBELLES 

L'éternel tout puissant ne ferme jamais Vœil 
Assopy dans le ciel d'un paresseux sommeil. 
Il œillade (pusjours la trouppe saincle et sage 
MonstrarU le port heureux ou, libre du naufrage, 
Se doit rendre la nef du sainct homme Noé, 
L'église qui, ayant un si long temps vogué, 
Maugré V effort grondant d'Aquilon raseAerre 
Sans péril et sans peur se revoit sur la terre, 
Comme un pin planté près Sun cler courant ruisseau 
Dresse dedans les deux son fueillage nouveau, 
Et si croît d autant plus que Vonde cristaline 
Luy bat le pied et trempe en ses eaux la racine ; 
Ainsi lasl d 'autant plus que V orage mutin 
Assaille ce navire, pour en avoir la fin, 
D'autant plus il est ferme et dresse au ciel la teste 
Maugré le foudre aigu dune noire tempeste. 
Ja un Astre nouveau, de ses cheveux orins * 
Chasse du ciel changé les nuages mutins. 

* D'or, doré, qui est d'or. 

Et Latone au chef orin , a dit Luc La Porte , Trad. 
£ Horace > Od., liv. I w . Ràyn., t. II, p. 144, 



— 186 - 

Le ciel, monstrant a cler son azuré visage, 
Appaise de Borée et de Caure * la rage. 
Dieu aussi a froissé les Géants serpens-pies 
Quirompoyent traitrement leur loches amitiez, 
Pensans, o trayson, froudroyer la puissance 
Et le ferme soustien de V invincible France» 

Semence d'Abraham et du peuple Israël 
Chantes du haut Seigneur le renom immortel. 
Vous, poètes sacrez, qui, sur le vert rivage 
De fonde Aganipide *, ou au frais de l 'ombrage 
Des antres Pimpkans », ou au roc d'Helicm, 
Faites couler le miel d'une docte chanson, 
Laisses les arcs turquois *, les doux-cuisantes flèches, 
La trousse, les brandons, V amorce et les flammèches 



* Caure, de Caurus, vent du nord-ouest. 

* Aganippe, nom d'une fontaine du mont Hélicon, 
en Béotie, dont les eaux avaient une vertu souveraine 

Tpour inspirer les poëtes; d'où les Muses s'appelaient 
quelquefois Aganippides. Le cheval Pégase avait fait 
sortir cette fontaine de terre d'un seul coup de pied. 

* Antres habités par les Muses, qu'on appelait quel- 
quefois Pimpléides, Pimpléiennes, de Pimpla, fon- 
taine de Macédoine qui leur était consacrée. 

* Turquois, turquin, bleu foncé, pannus turquinus. 
On lit, dans des lettres de rémission de l'an 1400 : 
Quatre aulnes de drap turquois retrait et retondu. 
(Du Gange, Gloss., t V, p. 62, col. 2, édit. Henschel.) 



— 186 — 

Du tiran Cupidon, laisses moy l'œil meurtrier 
D'un visage céleste a qui le beau courrier 
De VOlimpe azuré son raion d'or n'egalle. 
Clvantez, fils d'Apollon, sur la roche Natalle, 
Du Seigneur la Justice et le nom glorieux 
Qui remplit l'air, la terre et la mer et les deux. 
(Test luy seul qui a mis, entre les mains de France, 
Le fier Mongommery, qui avait espérance 
De renverser un jour le royaume François 
Et le tige sacré des valeureux Valois. 
L'homme dans son esprit mille choses propose 
Que le juste Seigneur à son vouloir dispose, 
France, c'est à ce coup qu'ayant l'extrême firt> 
De tes fiers ennemis, par le vouloir divin, 
Tu dois recercher l'or d'un bien plus heureux âge. 
Mongommery, le Irailre, a passé le rivage 
Du fleuve ou le vieillard passe tous les venans, 
Ne repassant aucun de ces mânes errans. 
que Dieu est puissant, bénin et débonnaire 
D'avoir si doucement gouverné nostre affaire! 
Cent fois les ennemis, plus fiers que le Lyon, 
Ont voulu renverser des Valois la maison ; 
Mais en fin le Seigneur apuny leur malice, 
Balançant le mérite au poix de la justice. 

Gaspar de Coligny pourra estre tesmoing 
Que Dieu a de son peuple et des Princes le soin, 
Ce ruzè, ce renard, VÀrchitophel de France, 
Machoit en son esprit, enflé d'outrecuidance, 
Mils conseils outrageux. Mais la fortune, enfin, 
Renversa tout d'un coup son malheureux dessein. 



— 187 - 

Et comme un roux Lion aux forests de Libie, 
Destournant du chasseur la sagette ote-vie, 
S'appareille a combattre et, de rage bouillant, 
Il escume le meurtre et le courroux sanglant ; 
Mais, quoy qu'il vueille faire et cruel entreprendre *, 
Il voit enfin un coup qui au cueur le vient prendre : 
Ainsi bien que ce chef et V auteur de nos maux 
Prinl les armes au poin, endurant mil travaux, 
Et quoy qu'il ait tasché a défendre sa vie, 
Et que de renverser la France il eut envie, 
Toutes- fois un seul jour vrayement qui est saincl 
Va veu cruellement de cent mils coups atiaint. 
La majesté de Dieu, en son beau trosne assise, 
Contemple des meschans et des bons l'entreprise 
Et, selon qu'est le droit, il élance si-bas 
Le foudre trois-pointu, la force de son bras. 
Mais que diray-je icy de ce fier Capitaine, 
Ce fier Mongommery qui, d'un' ame hautaine, 
Se promettoit desja le sceptre des Valois, 
Conjurant contre nous et V estât de nos Roy s? 
Pour les maulx qu'il a fait a la chelive France, 
Pour jamais nous avions ja perdu l'espérance 



* Gaspard de Coligny, attiré à la cour après la paix 
de St-Germain, y fut accueilli avec une foule de 
caresses, comme tous ceux de son parti. Mais, dans la 
nuit du 23 au 24 août 1572, un bohémien nommé 
Besme, soudoyé par la cour, l'assassina cbez lui et 
jeta son corps par la fenêtre. 



- 188- 

De pouvoir ramener lapaixchasse-soucy 
Ou la Justice règne et la Concorde aussi. 
De tous cotez Mavors i etla flère Bellonne, 
Ecartez par les champs d'une trouppe félonne, 
Faisait tamper les flots et le sein escumeux 
De la Seine, ondoyante en nostre sang moiteux. 
Aux villes et aux champs les redoutez gensdarmes 
Brisaient et rompaient tout par flammes et par armes. 
Sur tous Mongommery ça et là s'avançait, 
Et, pour nous outrager, hardiment s'élançait, 
Comm' un torrent enflé s'élance par la plaine, 
Se roulant du sourcy d'une roche hautaine, 
Et, par l'effort bruiant de ses flots courroucez, 
Froisse et traîne avec soy les arbres arrachez: 
Ou bien comm' Aquilon, horreur de la Scytie, 
Sur tous va horriblant * sa rage et sa furie; 
Ainsi ce Comte, esmeu d'un espoir incertain, 
H voulait briser tout d'un courage malin. 
Or selon son mérite il a flny sa vie. 
Plus nuire ne pourra aux François son envie. 
Ainsi puisse mourir quiconque s'armera 
Contre son juste Roy et qui renversera, 
Par l'effort belliqueux dune trouppe ennemie, 
Les autels du Seigneur bastis dans sa patrie. 
Puisse il, quiconqu'il sait, de ses infets boyaux 
Nourrir les chiens urlans et les hideux corbeaux. 



1 Mavors, surnom de Mars, dieu de la guerre. 
* Épouvantant, glaçant d'effroi. 



-189- 



IV 



PREDICTION 

SUR LA PRINSS DU FILS DU DICT MONGOMKERY 



L'aurore chasse-nuit avait jà débarré 
Les portes du chasteau de VOlimpe azuré, 
Et, tressant les filets de sa blonde crinière, 
Au monde ramenait la flamme journalière, 
Quand le père des Dieux, qui, dun bras recourbé, 
Jette et darde cy-bas son tonnerre em flambé, 
Envoya son herault, le cauteleux Mercure, 
Pour assembler les Dieux a celle fin d avoir cure 
De la chetive France; un royaume que Mars, 
Ja long temps y avait, couvrait de ses soldars. 
Quand les Dieux assembles luy firent audience, 
Contenant leur propos soubs la clef dun silence. 
Il se mit en son trosne et de graves propos 
En ce point fit trembler Voir, la terre et les flots : 



4 Dans une édition du même opuscule, imprimée £ 
Paris en cette même année 1574, cette pièce estinti 
talée : La Consultation des Dieux sur* la Prinse d< 
Mongomrnery. 



— 190 — 

Jusque* a quant sera-ce, o sanglante Bellonne, 
Et toy, Mars, dont le cueur de colère bouillonne, 
Qu'eslendant çà et là vos estandars dorez, 
La France couvrirez de soldars assurez? 
N'a-t-elle pas donc assez esprouvévostre rage? 
Et assez engraissé de son sang le rivage? 
Depuis le jour fatal que le Roy bien- aimé, 
Le vertueux Henry fut par mort consommé, 
Vous n'avez onc cessé de renverser la France. 
Par armes et par feu et par cruelle outrance, 
Vous Vavez tourmentée, ainsi que, sur la mer, 
On voit unvant hideux dans les flots abimer 
Du marchand hasardeux le voyager navire 
Qui, au bon gré du vant, se vire et se revire. 
Quand voulez-vous finir? Etcomm' auparavant 
PTespouvanter les tours d un alarme sanglant? 
Il est temps de fuir et à paix faire place, 
Vous retirant bien loin aux déserts de la Trace. 
Aussi bien cy après nous logerons aux deux 
Mon Charles àe Valois, Prince victorieux, 
El Henry, mon mignon, que la Poloigne embrasse, 
Ravie de son los *, sa vertu et sa grâce, 
Gouvernera la France et sy, pour un jamais, 
Il nous doit bienheurer d'un' éternelle paix, 
Son Royaume, doutant d'un soldat l'arrogance, 
Soubs luy s'appaisera la rancune et l'offense 
Des aigneaux et des loups ; soubs luy s'écouleront 
Les ruisseaux argentins qui de laict blanchiront. 

t Los, réputation, gloire, laus. 



- 191 - 

Partant fuyez ffiicy et faites que la guerre 
Soit chassé a présent de la Françoise terre! 
Or affin que cecy soit fait plus aisément, 
Escoutez mon conseil; je vous diray comment : 
Vous sçavez comme un jour, de ma main équitable, 
En bas je renversay le trouppeau effroyable 
Des mutins, qui avoyent, l'espace de douze ans, 
Cruellement surpris, par cauteleux moyens, 
Les villes et les tours ou V humble populace 
Paisoit fumer agencent nos autels, dont la grâce 
Despendoit de Vor jaune et du solide argent 
Que le peuple dévot nous offroit saintement. 
Gaspar de Coligny, dune guerrière espée, 
Justement, vit ce jour sa poitrine frappée; 
Mongommery tout seul s'eschappa de nos mains, 
Mongommery, la peste et V haine des humains. 
Tu le vois, o Mavors, ayant Vame enflammée, 
Et versant dans la France une moisson armée 
De lances et d'escus qu'il a ensanglanté 
Dans le sang malheureux du peuple tourmenté. 
Tes eaux escumeroyenl le sang ; puisse, par armes, 
Ton dos seroit frappé de tes propres gensdarmes, 
Tes fils qui, en prenant les armes contre toy, 
Mettroyent tout en ruine et piteux desarroy. 
Donc, Mars, je te supply, déroche ton courage, 
Fais prendre a ce pirate envenimé de rage 
Les armes, escorté d'un cueur masle soldart; 
El fais tant qu'à la fin, enserré quelque part, 
Il soit pris là dedans, affin que dans Luièce 
Par sa meschante mort les François il repaisse. 

7 



- 192 - 

Jupiter dit ainsi, les Dieux a ce propos 
Menèrent un tel bruit qu'on voit mener les flots 
Lorsque la mer commence a dérider sa face, 
Neptune ayant chassé Aquilon plein d'audace; 
Ou comme un esquadron de fillettes du ciel, 
En allant par les prés pour confire le miel, 
Piller les belles fleurs, d'un bourdon fait rebruire 
Les jardins et les bois où, seul, il se retire: 
Ainsi ces Dieux m'envoyent un petit bruit d accord, 
Et, sur l'heure, chacun, se complaignanl bien fort 
Du Dieu Mars qui ainsi troublait la pauvre France, 
On voulait, contre luy, donner briesve sentence. 
Mais Jupiter se levé, et Mars, qui luy promet 
Que selon son vouloir tout cecy seroiVfaict. 
Il descend de l'Olympe avec sa seur Bellone. 
Chacun d'eux tire a soy, chacun d'eux esguillonne 
Nostre Mongommery a lever des soldars, 
Et faire flamboier en leur mains mille dars. 
Or, pour mieux achever l'affaire commencée, 
Bellone par Junan aux Fureurs adressée, 
En ce point attaqua l'infernalle Aliecton i : 
Semence de la nuit, ministre de Pluton, 
Hérisse tes cheveux d'anguilles venimeuses, 
Arme tes fortes mains de torches furieuses, 
Il faudra que tu aille a un Mongommery 
L'induire à faire guerre, et, dans le corps meurtry 
De la France troublée ensanglanter ses armes 
Et amasser partout mille et mille gensdarmes. 

i L'une des trois Furies. 



- 193 - 

Que si par un arrest et stable destinée 
Nous n'amoindrissions point sa collère obstinée, 
Ha, malheureuse France, infortuné pays 
Tu serois tout couvert de soldats ennemis. 
C'est toy qui peut mouvoir les frères a s'armer 
Contre leur propre frère et, par haine abismer, 
Les plus riches maisons ; tes couleuvres rampantes 
Et tes flambeaux gommeux sont armes suffisantes. 
Puis tu as mille noms, tu as mille moyens 
De nuire a un chacun. Donc de les feux cuisans 
Eschauffe luy le cueur et luy verse dans Vame 
Ton venin, et du feu la détestable flamme. 
A tant se teut Bellonne et la fibre Alecton, 
Laissant les flots ombreux de V avare Achéron, 
S'en vint droit à ce Comte a celV fin de l'induire 
A renverser la paix, et partout faire bruire 
Les tristes craquetis des lances, des harnois, 
Pour estreindre de Dieu et des hommes les loix. 

Mongommery, dit-elle, ayant usé ton aage 

A verser ça et là un martial orage, 

Ores tu es oisif et comme casanier, 

Tu n'oses sortir hors, et, n'estant plus guerrier, 

Tu laisse estendre %cy ta chetive vieillesse 

Et enroUiller le los de ta noble prouesse. 

Doncques le souvenir de la crueUe mort 

De tant de Ducs, en qui tu mettois ton confort *, 

» 

* 'Gabriel de Mongommery descendait d'une antique 
famille dont l'illustration remontait à Roger de Mon* 



- 194 — 

Pour la France assaillir ton ame n'eguillonne? 
Lève toy, paresseux; la sanglante Bellonne, 
D'un cornet haut-bruyant, et V héraut clerevois 
Ja t'appelle à V assaut; fais craquer le harnais 
Sur ton dos si puissant et, soubs ta main guerrière, 
Fais trembler les reflots de Vonde marinière, 
Les champs et les foresls: Mavors avec sa Seur 
Te promet cy après pour jamais sa faveur. 

Elle dit : En ce point et dedans son courage 
Luy versa le venin d'une bouillante rage. 
Mongommery s'appreste et jà, de tous costez, 
La France nous remplit de soldats redoutez, 
Poure homme qui ne sçait que sa vie doit être 
Borné a ceste fois par un malheur senestre. 
Mais quoy? L'homme ne sçait en quell' place ny quant 
Il doit finir sa vie et moins encor comment. 
Ce pirate, écorté d'un malheur invisible, 
Brigandoitparla France et,plusqu'un foudre horrible, 
Passoit tout par le feu et le feu violant. 
Enfin les sages Dieux, par un destin puissant, 
L'enferment dans les murs d'une ville qui, prise, 
Et par l'effort vaillant de nos soldats r'acquise, 
Baillé entre nos mains ce larron qui, de peur, 
Se cacha dans Domfron, pensant eslre plus seur; 



gomraery, gentilhomme normand qui accompagna 
Guillaume-le-Bâtard à la conquête de l'Angleterre et 
eut un commandement important à la bataille d'Has- 



— 195 — 

Mais enfin il fut pris, contraint en sa vieillesse 
De mourir sans monstrer acte de sa promesse, 

Lecteur d'un vers mâché sur un roc bien pointu 
Et dans un antre frais, de mousse revestu, 
J'eusse, sur les beaux nerfs de ma lire dorée, 
Fait rebruire de Mars la trompette enrouée, 
Les assauts d'une ville et l'orage ferré. 
Maisj'ay esté surpris pour avoir espéré 
Que plus tard periroit l'ennemy de la France, 
Qui de nous foudroyer avoit bonne espérance. 



ODELETTE 

EN LA LOUANGE DE DIEU 



DORESNAVANT SOUbS Us OOTiS 
De cent beaux aubepins fleuris, 
Ou bien auprès des ondelettes 
Qui roulent, aux chams bigarrez, 
Leurs courses trepignardelettes 
Et leurs petits flots axures, 

Je feray chanter à mes vers 
Le vray Seigneur de l'univers, 



- 196 - 

Qui a, par sa miséricorde, 
Livré la France des assaux 
Dont la trop mutine discorde 
Faisoit de sang rougir nos eaux. 

Soit que bien matin l'œil flambeau, 
Sortant de Vabisme de Veau, 
Vienne ralumer en ce monde 
Le jour gratieux et serain 
Et qu'il monstre la soye blonde 
Qui va reluisant en son crin; 

Soit que l'œil palle de la Nuict 
Ait cy bas ses moreaus conduit, 
Encernant d'un humide voile 
Toute la courbure des deux 
Où brille mainte et mainte estoille 
D'un petit rayon tortueux; 

Je veux que mon luth yvoirin, 
D'un carme plein de miel sucrin, 
Face redire aux forets vertes, 
Et aux christalins ruisselets, 
De Dieu les forces découvertes 
Par une infinité d'effets. 

Vous feriez bien, ingrats François, 
Si dune douce et chaste voys 
Vous n'esleviez sa saincte gloire; 
Veu qu'il vous a pris à pitié 
Faisant humer de l'onde noire 
Aux pipeurs de ton amitié. 



— 197 — 

Le traître Mongommery sçait 
Que ton jugement est parfait* 
Et que tu punis la malice 
De celuy qui, injustement, 
Vient renverser une police 
Par l 'effort dun assaut sanglant. 

Ainsi jadis cognut Aman 
Que la semence oV Abraham, 
Les Juifs, Vinnocente race, 
Estoit en ta tuilion, 
Et que tu luy donnois ta grâce 
Pour garder sa religion. 

Or, ainsi périsse celuy 
Qui voudra donner de Vennuy 
A ceulx, Seigneur, qui te défendent 
Et qui, sans changer de vouloir, 
Mille prières te présentent, 
Tesmoignage de leur devoir. 



\3$? 



— 198 — 



VI 



DIVERS SONNETZ 

OU AMPLEMENT EST DECRITE LA JUSTICE DE DIEU, 

ET COMM E JUSTEMENT ON A PUNT MONGOMMERT 

ET SES REBELLES. 



SONNET I 

Comm* on voit Vesquadron des nues pluvieuses 
Armé desclair, de gresle, et de foudre bruyant, 
Renverser contre bas le beau bled jaunissant 
Et d'un jardin fécond les plantes fructueuses: 

Ainsi le Dieu puissant de foudres orageuses 
Accable, froisse et rompt Vesquadron frémissant 
Des cruels ennemis dont le glaive trenchant 
Par la France semoit mille morts outrageuses. 

Gaspar de Coligny, VArchitophel François, 
Et le mutin de l'Orge, ennemy de nos roys, 
Nous en pourront donner un certain tesmoignage, 

Car enfin le Seigneur a estendu son bras 
Sur ses deux qui, conduitz au destiné trespas, 
Ont esprouvé de Dieu le juste et sainct courage. 



-199- 

SONNET II 

Richer, pour le présent raconter je ne veux 
Comme près les ruisseaux d'une vive ondelette 
Tu fais bruyre, a Venvy, ta muse doucektte, 
Guidé par la faveur du Dieu aux bea,ux cheveux; 

Et moins, comme aux fredons de tes vers savoureux 
J'ay veu danser le soir la brigade douillette 
Des Nimfes de ce bois, et la trovppe muette 
Des poissons, s'arrester a leurs bors escumeux. 

Pour cesV heure présente, il faut que sur la lire 
Nous faisions, pour jamais, bien hautement rebruire 
La divine vertu et le los du Seigneur* 

(Test luy qui a vaincu des ennemis la rage, 
Mêlant entre nos mains et livrant au malheur 
Mongommery, l'auteur de maint et maint outrage. 

SONNET III 

Le soleil crepulu, soit qu'il sorte de Vonde, 
Devancé far les rais du flambeau matineux; 
Soit que, dessus le soir, il desrobe des deux 
Le crespe deslié de sa perruque blonde, 

Il ne voit rien qui soit de plus grand en ce monde 
Que les Roysensceptrés, que le père des Dieux 
Avoue pour ses fils, et veut qu'en ces bas lieux 
JU gouvernent pour luy ceste machine ronde. 



- 200- 

Pariant disposez-vous a aimer vostre Roy, 
Et embrasser du tout son arrest etsaloy. 
Périsse mal celuy dont Vame desloyalle 

Forgera mils conseils pour en fin renverser 
D'un orage ferré la puissance royalle 
Qu'on doit en bien faisant chérir et caresser. 

SONNET IIII 

Vous gui semez, pour nous faire nuisance, 
Les maux cachez dans le fatal vaisseau 
D'une Pandore, ouvrage dont le beau 
Eut peu mouvoir la mesme tempérance, 

Vous, dis-je, las! qui atlraitz d espérance 
Cruellement, pour quelque cas nouveau, 
Faites rougir un argentin ruisseau 
Du sang tiré des playes de la France; 
Retirez-vous, retirez-vous, mutins, 
Dieu tout puissant, le Seigneur des armées, 
Renversera vos malheureux desseins. 
El, en la fin, vos forces consommées 
Pourront servir à la' postérité 
Pour s'estranger de Vinfidelité. 

SONNET V _,-,_ 

Si quelquefois, 6 malheureuse France, 
Tuasveu pendre a tes yeux milles larmes, 



- Mi — 

Si tu as craint de tes filz les alarmes 
Et oVun mutin la rebeUs puissance, 

Si tuas veu la fureur et l'outrance 
De mils soldats, au milieu des vacarmes; 
Si lu as veu les flamboyantes armes 
Prises afin de te faire nuisance; 

(Testa présent que, bannissant bien loin 
De ton courage, et le pleur et le soin 
Humble, tu dois au Seigneur rendre grâce; 

Car, peu à peu, il a mis dans tes mains 
Les ennemis qui, par mauvais desseins, 
Te deschiroyent les mains, les bras, la face. 



SONNET VI 

Comm* un laurier ou un pin grand et beau 
Qu'un laboureur garde soigneusement, 
Près la fontaine ou maint œillet sanglant 
Mire son teint au cristal du ruisseau, 

Sans point faillir, au joly renouveau, 
Est revestu d'un branchage plaisant, 
Et, vers les deux ses fueilles hérissant, 
Toujours apporte unfruict doux et nouveau; 

Ainsi V Eglise et la France, que Dieu 
Soigneusement contregarde en tout lieu: 
Maugré la force et Vend des mutins, 



- 202 - 

Elle verdoyé et, élevant aux deux 

Sa belle face et ses deux blanches mains. 

Elle rapporte un flruict delitieux. 



SONNET VII ^ 

>-v uelle bouche de fer, quelle plume $ airain 
\J Pourra dire ou escrire une chose si belle! 
La louange de Dieu gui brise la querelle, 
Renversant le pouvoir d'un gendarme mutin ! 

Nourrisons d'Apollon, d'un vers doux et sucrin 
Chantez pour un jamais la Justice éternelle 
De nostre Dieu puissant qui punit le rebelle 
Accablé soubz V effort de sa puissante main! 

Dieu a les pieds de laine et ne veut nous reprendre 
Desque le crime est fait ; mais peu à peu vient prendre 
Celuy qui si souvent s'est pris à sa grandeur. 

Et d autant plus qu'il a retardé le supplice, 
D'autant plus en est grande et rude la Justice, 
S'il ne se convertit l'adorant pour Seigneur. 

SONNET VIII 

Comme la roche, en Vapisme des eaux, 
Résiste fort contre un mutin orage 
Qui bat ses flancs et, bouillonnant, ravage 
ïïun nautonnier les passagers vaisseaux: 



- 203- 

* 

Ainsi la France en tourmens si nouveaux, 
Ferme se tient contre Vestr ange rage 
De Vennemy, et, libre du naufrage, 
Tient en sa main les verdoyons rameaux ; 

Aussi le Dieu et le prince des princes 
Défend le mur de nos fortes provinces, 
Et ren forcit le Ion-béant rampart. 

Donc a toy, Dieu, soit la gloire donnée, 
Non pas à nous ; la ville abandonnée 
De ton secours, se voit en grand hasard. 



SONNET IX ^- 

Comme le cerf, après avoir lontams 
Brossé un bois, cherche quelque fontaine 
Dans un verger ou une verte plaine 
Qui a dans soy mils ruisseaux doux-coulans : 

Ainsi mon âme, ô crainte des meschans, 
A toy soupire et, comme hors d'haleine, 
Se tire vers ta bonté douce et pleine 
D'humanité, garde des sainctes gens. 

Et jour et nuict, mon boire et ma viande, 
Ce sont soupirs quand je voy une bande 
De conjurez s'eslever contre toy. 

Ha! pauvre gens quelle folie foilie 
Vous a ravy? C'est bien grande manié 
Del>aiaiUer contre un si puissant Roy. 



- 201 - 

SONNET X 

Comme en un mesme tams on voitpUmvoir bien fort 
Et luire le Soleil, ainsi la pauvre France, 
Voyant Mongommery, par la juste sentence 
Du souverain sénat, délivré a la mort. 

Elle se resjouit, et un vain reconfort 
Semble luy arracher la longue souvenance 
De mille maux sou/fers et faits à tout outrance, 
Sentant d'un ennemy le trop cruel effort. 

Toutefois elle pleure et, au dehors joyeuse, 
Elle a dedans son cœur une playe angoisseuse 
Qu'elle sent encor seigner quand il lui en souvient. 

Ha France, sur qui Mars a repeu sa furie, 
Non sans cause tu ris et tu pleure ta vie, 
Voyant tantost le mal et le bien qui Vavient. 

SONNET XI 

Comme le traitre Aman voulant réduire en cendre 
Les Juifs circoncis et la maison oVHester 
Qu'il vouloit en un coup par armes foudroyer ; 
Faisant, à son vouloir, le prince condescendre, 

Il fit enfin le Roy collère se reprendre 
Et faire honteusement en un arbre trancher 
Geluy qui trop mutin vouloit tout renverser, 
Et du bonMardoché la ruine entreprendre. 



/' 



- 20B - 

Ainsi Mongommery, qui iïire bouillonnait, 
Qui par armes et feu la France renversait, 
Plus a plaindre que n'est un foudroyant orage, 

A présent on le voit mourir honteusement 

Et recepvoir le pris de sa maudite rage, 

Qui voulait tout froisser d'un vacarme sanglant. 



FIN. 



Cl. DEMORENNE. 




TABLE DES MATIÈRES 

Nota. Un * indique les pièces déjà publiées. 

Pages. 
Notice biographique et littéraire i-xxyi 

LIVRE PREMIER. 

I Elégie 3 

n Sonnet 7 

III Elégie 8 

IV. Chanson iO 

V. Sonnet 12 

VI. Autre Sonnet. 13 

VII. Chanson 14 

VIII. Sonnet 15 

IX. Le Feu d'Amour 17 

X. Chanson 22 

XI. Sonnet 23 

XII. A Cassandre 24 

Xjn. Qu'on me bride la langue, etc., etc. . . 25 

XIV. . Sonnet 26 

XV. Eglogue 27 

XVI. Sonnet 34 

XVII. Autre Sonnet 35 



— 208- 

Piges. 

XVm. Chanson 36 

XIX. Sonnet 37 

XX. Ode 38 

XXI. Sonnet 10 

XXH. Chanson 41 

XXIII. Sonnet 43 

XXIV. Autre Sonnet 44 

XXV. Adieu 45 

XXVI. Elégie 45 

XXVD. Epithalame de Monseigneur Anne de 

Joyeuse, duc et pair de France, et de 

Madame Marguerite de Vaudemont. . 49 
XXVni. Epithalame de M. de la Valette et de 

Mademoiselle du Bouchage! 57 

XXIX. Chant nuptial de Monseigneur le Conte 

du Bouchage et de Mademoiselle de la 

Valette. . 6* 

XXX. A Monseigneur le Cardinal de Joyeuse. 68 

XXXI. Adieu à toutes folles Amours 70 

LIVRE SECOND. 

I. LePrintams 75 

IL Les Plaintes de la France sur le départ 

d'Henry de Valois, roy de Poloigne. . 79 

m. La Jalousie 33 

IV. A Monsieur de Gros Bois 86 

V. A Monsieur le secrétaire René Moulinet. 88 

VI. * Le Tombeau du Roy Charles IX ... 89 

VII. . * Eglogue sur le même subject 97 



- 209 — 

Piges» 

VIII. Le Pais de Sainte Cécile 107 

IX. Imitation des vers d'Horace: Diffugere 

nives, etc. . ' 106 

X. Autre imitation sur rode : Bacckum in 

remotis, etc HO 

XI. Sonnet. Prière au vent 113 

XII. L'Age d'or. 114 

XIII. La Bienvenue d'Henri HI. ( roy de France 

et de Poloigne ~ 115 

XIV. Le Chant des Nymphes 134 

XV. Souhaits pour Henry de La Chastre sei- 

gneur de Nançay 127 

XVI. Eglogue. A Monseigneur le duc de Joyeuse 

sous la personne de Damon 130 

XVH. * Sonnet sur la mort de Odet Turnèbe . . 141 

XVIII. Le Printams. Chanson 142 

XIX. Le Nautonnier désespéré 146 

XX. * Epitaphe de Monsieur Budée, maistre 

des requestes et conseiller du Roy . . 180 

XXI. Les Plaisirs de la Vie rustique 151 

XXH. 'Le tombeau de Charles de Lorraine, 

cardinal 156 

XXm. * Sur la briefveté de la vie humaine. . . 163 
XXIV. Adieu au monde 166 

Les Regrets et tristes Lamentations du 
comte de Mongommery, etc. 

I. • Au lecteur 173 

H. * Les Regrets du comte de Mongommery, 

etc 174 



— 210- 

Piges* 
m. 'La Justice de Dieu et comme enfin elle 

punit les rebelles 184 

IV. * Prédiction, sur la prinse du fils du dict 

Mongommery 189 

Y. * Odelette en la louange de Dieu .... 195 
VI . * Divers sonnets où amplement est décrite 
la Justice de Dieu et comme justement 
on a puny Mongommery et ses re- 
belles 198 




DÉDIÉE AUX BIBLIOPHILES NORMANDS 

CETTE ÉDITION DES POÉSIES DE CL. DE MORENNE 

A ÉTÉ IMPRIMÉE A CAEN PAR GOUSSIAUME, 

ORNÉE DE VIGNETTES PAR BOSCAIN, 

AUX FRAIS ET PAR LES SOINS 

DE E. LE GOST, EDITEUR. 

M D CGC LXIV. 



40 



— 198 - 

Mais enfin il fut pris, contraint en sa vieillesse 
De mourir sans monstrer acte de sa promesse, 

Lecteur d'un vers mâché sur un roc bien pointu 
El dans un antre frais, de mousse revestu, 
J'eusse, sur les beaux nerfs de ma lire dorée, 
Fait rebruire de Mars la trompette enrouée, 
Les assauts d'une ville et V orage ferré. 
Maisfay esté surpris pour avoir espéré 
Que plus tard periroil Vennemy de la France, 
Qui de nous foudroyer avoit bonne espérance. 



ODELETTE 

JETAT LA LOUANGE DE DIEU 



DORESNAVANT SOUbS US àbHs 
De cent beaux aubepins fleuris, 
Ou bien auprès des ondeletles 
Qui roulent, aux chams bigarrez, 
Leurs courses irepignardeleties 
Et leurs petits flots azurez, 

Je feray chanter à mes vers 
Le vray Seigneur de V univers, 



P0 1047 .MM PS 



CI 




3 6105 041 018 917 



DATE DUE 



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STANFORD, CALIFORNIA 94305-6004 

A- • •..•.■ ' ■ — 



— 499 — 



SONNET II 

Richer, pour le présent raconter je ne veux 
Comme près les ruisseaux d'une vive ondelette 
Tu fais bruyre, a Venvy, la muse doucektte, 
Guidé par la faveur du Dieu aux bequx cheveux; 

Et moins, comme aux fredons de tes vers savoureux 
Tau veu danser le soir la brigade douillette 
Des Nimfes de ce bois, et la trovppe muette 
Des poissons, s'arrester a leurs bors escumeux. 

Pour cesV heure présente, il faut que sur la lire 
Nous faisions, pour jamais, bien hautement rebruire 
La divine vertu et le los du Seigneur* 

C'est luy qui a vaincu des ennemis la rage, 
Mêlant entre nos mains et livrant au malheur 
Mongommery, V auteur de maint et maint outrage. 

SONNET III 

Le soleil crepulu, soit qu'il sorte de Vonde, 
Devancé par les rais du flambeau matineux; 
Soit que, dessus le soir, il desrobe des deux 
Le crespe deslié de sa perruque blonde, 

Il ne voit rien qui soit de plus grand en ce monde 
Que les Roysensceptrés, que le père des Dieux 
Avoue pour ses fils, et veut qu'en ces bas lieux 
Ht gouvernent pour luy caste machine ronde.